• C'est la bonne heure où la lampe s'allume :
    Tout est si calme et consolant, ce soir,
    Et le silence est tel, que l'on entendrait choir
    Des plumes.

    C'est la bonne heure où, doucement,
    S'en vient la bien-aimée,
    Comme la brise ou la fumée,
    Tout doucement, tout lentement.

    Elle ne dit rien d'abord - et je l'écoute ;
    Et son âme, que j'entends toute,
    Je la surprends luire et jaillir
    Et je la baise sur ses yeux.

    C'est la bonne heure où la lampe s'allume,
    Où les aveux
    De s'être aimés le jour durant,
    Du fond du coeur profond mais transparent,
    S'exhument.

    Et l'on se dit les simples choses :
    Le fruit qu'on a cueilli dans le jardin ;
    La fleur qui s'est ouverte,
    D'entre les mousses vertes ;
    Et la pensée éclose en des émois soudains,
    Au souvenir d'un mot de tendresse fanée
    Surpris au fond d'un vieux tiroir,
    Sur un billet de l'autre année.

    Émile VERHAEREN (1855-1916) *

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    Comme dans l'éponge il y a dans l'orange une aspiration à reprendre contenance après avoir subi l'épreuve de l'expression. Mais où l'éponge réussit toujours, l'orange jamais : car ses cellules ont éclaté, ses tissus se sont déchirés. Tandis que l'écorce seule se rétablit mollement dans sa forme grâce à son élasticité, un liquide d'ambre s'est répandu, accompagné de rafraîchissement, de parfums suaves, certes, -- mais souvent aussi de la conscience amère d'une expulsion prématurée de pépins.
    Faut-il prendre parti entre ces deux manières de mal supporter l'oppression ? -- L'éponge n'est que muscle et se remplit de vent, d'eau propre ou d'eau sale selon : cette gymnastique est ignoble. L'orange a meilleurs goût, mais elle est trop passive, -- et ce sacrifice odorant... C'est faire à l'oppresseur trop bon compte vraiment.

    Mais ce n'est pas assez avoir dit de l'orange que d'avoir rappelé sa façon particulière de parfumer l'air et de réjouir son bourreau. Il faut mettre l'accent sur la coloration glorieuse du liquide qui en résulte et qui, mieux que le jus de citron, oblige le larynx à s'ouvrir largement pour la prononciation du mot comme pour l'ingestion du liquide, sans aucune moue appréhensive de l'avant-bouche dont il ne fait pas hérisser les papilles.

    Et l'on demeure au reste sans paroles pour avouer l'admiration que suscite l'enveloppe du tendre, fragile et rose ballon ovale dans cet épais tampon-buvard humide dont l'épiderme extrêmement mince mais très pigmenté, acerbement sapide, est juste assez rugueux pour accrocher dignement la lumière sur la parfaite forme du fruit.

    Le parti pris des choses / Douze petits écrits / Proêmes  Francis Ponge *

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    Elle est charmante, elle est aussi brune que blonde.
    Vous la reconnaîtrez, perfide comme l’onde,
    À ses cheveux changeant de tons et de parfums.
    Lorsque cela me plaît, moi, je les trouve bruns.
    Lorsque cela me plaît, je dis : « Sa chevelure
    À les reflets d’or mat que prend la moisson mûre. »
    Elle est blonde, elle est brune, et J’ai toujours raison.
    Un poète a chanté cela dans la saison
    Où la chanson des prés, douce et point ironique,
    Vient jusque dans les bois bercer la véronique.
    Cela dépend du jour, de l’heure, du moment.
    Il se peut que ce soit gênant, mais c’est charmant.
    On dirait que l’on voit, resplendissant et sombre,
    Un mouvant réseau d’or qui scintille dans l’ombre.

    Albert Mérat *

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    La mer de ma vie a été pendant cinq ans à sa marée basse ;
    De longues heures ont laissé rouler le sable par flux et reflux ;
    Depuis que je fus enlacé dans les rets de ta beauté,
    Que je fus séduit par le dégantement de ta main.
    Et maintenant je ne fixe plus le ciel à minuit,
    Sans que m'apparaisse la lueur de tes yeux restée vivace en moi ;
    Jamais je n'admire la couleur d'une rose,
    Sans que mon âme prenne son élan vers ta joue ;
    Il m'est impossible de regarder une fleur en bouton,
    Sans que mon oreille passionnée, en pensée à tes lèvres,
    Et guettant un amoureux soupir, se rassasie
    De sa douceur en sens inverse: - Tu éclipses
    Avec ton souvenir toutes les autres délices,
    Et mélanges de chagrin mes plaisirs les plus chers.

    Poèmes et poésies de John Keats *

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    Chargée du pollen des fleurs entrouvertes,

    La tribu des vents de minuit

    Porte en cette poudre enveloppée d’ombre

    Le germe des fleurs à venir.

     

    En son labeur secret, silencieux,

    Invisible aux regards humains,

    La vie alentour lance à pleines mains

    Ses mille semences vivaces.

     

    Fondant parmi la foison des tombeaux,

    Sur les armoires vermoulues,

    Sur le cimetière elles se propagent,

    Auprès des croix, sur les croix mêmes.

     

    Partout des fleurs, des myriades de fleurs !

    Parmi cette marée il semble

    Que ce soient les âmes mortes qui tentent

    D’écarter leur fardeau de pierre,

     

    Espérant enfin baigner leur tristesse

    Aux feux du soleil de printemps,

    Parachever leurs rêves impossibles,

    Et découvrir enfin l’amour.

     

     

     

    Konstantin Konstantinovitch SLOUTCHEVSKI. *

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