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    J'ai réalisé qu'en Amérique, et probablement partout ailleurs, il fallait sans arrêt faire la queue. Nous faisions ça pour tout. Permis de conduire : trois ou quatre queues. Course de chevaux : la queue. Au cinéma : la queue. Au supermarché : la queue. Je haïssais les queues (...) Je savais que les queues me tuaient. Tout le monde était normal, sauf moi. La vie était belle, pour eux. Ils pouvaient faire la queue sans souffrir. Ils pouvaient faire la queue jusqu'à leur mort. En fait, ils aimaient faire la queue. Ils papotaient, se marraient, souriaient, flirtaient. Ils n'avaient rien d'autre à faire. Ils n'imaginaient pas autre chose. Dire que je devais contempler leurs oreilles, leurs bouches, leurs cous, leurs jambes, leurs culs, leurs narines, tout le tintouin. Je sentais des vapeurs méphitiques et mortelles sourdre de leur corps ; quand j'écoutais leurs conversations, j'avais envie de hurler : " Jésus Marie Joseph, au secours ! Dois-je vraiment souffrir à ce point pour acheter deux cent grammes de bidoche et une baguette ? "

     
    "Avec les damnés"  Charles Bukowski *
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  • Je lus tous les livres de D.H. Lawrence. Cela m'amena à d'autres. Cela m'amena à H.D. la poétesse. Et puis à Huxley - le plus jeune, l'ami de Lawrence. Tous ces livres qui m'arrivaient dessus! Un livre conduisait à un autre. Arriva Dos Passos. Pas très bon, non, vraiment, mais assez bon quand même. Il me fallut plus d'une journée pour avaler sa trilogie sur les U.S.A. Dreiser ne me fit rien. Mais Sherwood Anderson, alors là, si! Et puis ce fut Hemingway. Quels frissons! En voilà un qui savait pondre ses lignes. Quel plaisir! Les mots n'étaient plus ternes, les mots étaient des choses qui pouvaient vous faire chantonner l'esprit. Il suffisait de les lire et de se laisser aller à leur magie pour pouvoir vivre sans douleur et garder l'espoir, quoi qu'il arrive.


    "Souvenirs d'un pas grand-chose" *

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  • Cette turne sur la colline respirait la mort. Je l'ai su le premier jour où j'ai poussé la porte-moustiquaire pour aller dans le jardin derrière. Un son zinzinant rebondissant vrombrissant bourdonnant est venu droit sur moi : 10 000 mouches se sont élevées dans les airs toutes en même temps. Tous les jardins avaient des mouches comme ça - il y avait ces hautes herbes vertes et elles créchaient là-dedans, elles adoraient ça.
    Oh nom de Dieu, j'ai pensé, et pas une araignée à moins de 5 miles ! Comme je restais planté là, les 10 000 mouches ont commencé à redescendre du ciel, s'installant dans l'herbe, le long de la clôture, par terre, dans mes cheveux, sur mes bras, partout. Une des plus gonflées m'a piqué.
    J'ai lâché un gros mot et suis sorti m'acheter la plus grosse bombe de tue-mouches que vous ayez jamais vue. Je les ai combattues pendant des heures, enragés, qu'on était, les mouches et moi, et bien des heures plus tard, toussant et malade à force de respirer le tue-mouches, j'ai regardé autour de moi et il y avait autant de mouches qu'avant. Je crois bien que pour chaque mouche que je tuais elles allaient dans l'herbe et en fabriquaient deux. J'ai abandonné la partie.

    "Le Postier" Charles Bukowski *

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  • Charles Bukowski (16 août 1920 – 9 mars 1994), écrivain américain d’origine allemande proche de la Beat Generation, est connu pour sa vie sulfureuse au moins autant que pour ses écrits (romans, nouvelles et poèmes) inspirés et inclassables. Après une enfance difficile, et déjà fortement marqué par l’alcool au début de l’âge adulte, Bukowski se forge un personnage de marginal, laid et rejeté, qui ne le quittera plus. Cependant, de nombreuses courtes lettres comme celle-ci montrent un Bukowski aussi philosophe que bienveillant.

    25 février 1994

    Salut Al_

    La solitude se fait de plus en plus douce.
    Un jour j’ai rencontré un type qui avait fait de la taule. Ils l’ont jeté dans le trou. Quand ils lui ont demandé : « Est-ce-que tu veux sortir maintenant ? » il a répondu : « Non. »
    Ils l’ont quand même mis dehors.
    Ils ont cru qu’il était cinglé.
    C’était l’un des hommes les plus sensés que j’aie jamais rencontrés.

    Eh oui, oui.

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  • Tout allait de travers. Les gens s’accrochaient aveuglément à la première bouée de sauvetage venue : le communisme, la diététique, le zen, le surf, la danse classique, l’hypnotisme, la dynamique de groupe, les orgies, le vélo, l’herbe, le catholicisme, les haltères, les voyages, le retrait intérieur, la cuisine végétarienne, l’Inde, la peinture, l’écriture, la sculpture, la musique, la profession de chef d’orchestre, les balades sac à dos, le yoga, la copulation, le jeu, l’alcool, zoner, les yaourts surgelés, Beethoven, Bach, Bouddha, le Christ, le H, le jus de carotte, le suicide, les costumes sur mesure, les voyages en avion, New York City, et soudain, tout se cassait la gueule, tout partait en fumée. Il fallait bien que les gens trouvent quelque chose à faire en attendant de mourir. Pour ma part, je trouvais plutôt sympa qu’on ait le choix.

    "Women"

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