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    Je me sens amoureux de l’été qui s’approche. Le ciel frais, immensément bleu, limpide, me donne envie de tout lâcher, d’aller lire Keats et Shelley dans l’herbe, et de me plonger, de me perdre voluptueusement dans mon roman.
    Lorsque j’ai un peu de temps, en ce moment, je laisse tomber l’économie politique et je travaille à ma nouvelle. Lorsque je me repose quelques minutes de l’étude du crédit, je pense, soit à mon éthique soit à ma nouvelle. J’éprouve en y pensant un certain plaisir, une légère excitation. Mais rien de comparable avec le pincement qui me serre le cœur lorsque j’évoque ce roman, mon roman, qui s’est mis à vivre tout seul comme un univers autonome, où je n’ai pas pour le moment la liberté d’entrer. Rien n’est encore vraiment écrit, pourtant déjà tout existe.
    Quel sort, au fond, plus enviable, que d’écrire un très bon roman, sous un ciel très bleu, sous un soleil clair ?

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    Mozart est inhumain. C’est sans doute le seul homme à qui il ait été accordé la grâce de créer, sans avoir à comprendre, à aimer, à souffrir l’homme.
    – Un seul mot d’ordre : produire, travailler, créer, produire !
    – La terreur de gâcher ma vie est, je crois, le plus profond motif de mes progrès, la raison de mon ardeur au travail, le fouet qui chasse mes faiblesses, et la cause de ce véritable désespoir que j’éprouve lorsque je suis fatigué et que je sens ne rien pouvoir faire de bon – même pas lire, même pas travailler mon économie politique.
    L’importance à mes yeux de chaque journée, de chaque minute, le prix que j’attache à ce combat quotidien : exister ! Le terrible remords que j’éprouve à ne rien faire. Non que cela ne m’arrive pas. Loin de là. Mais avec un tel sentiment de gaspillage, la crainte et la honte de perdre du temps précieux, que je suis rarement tranquille lorsque je me détends ou me repose, ou me distrais.
    … comme si mes jours étaient comptés… *

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    Une voluptueuse langueur, venue je ne sais d’où, m’ensorcelle. Je crois qu’il ne faut pas s’abandonner à cette euphorie stérile. Pourtant ma chair, mes sens défaillent. Toute chose semble courbée sous le poids d’une lassitude généreuse, comme une branche chargée de fruits trop lourds. L’avenir est beau et doux. Une exquise et mystérieuse tranquillité s’est étendue en moi, autour de moi, partout. Une eau fluide comme de
    l’air apaise tout ce que je vois, tout ce que j’entends, tout ce que je touche. Aucune saveur, aucune couleur particulière ; mais une fraîcheur engourdissante où malgré moi je m’abandonne. Mais sous cette eau profonde s’étend, avec la grâce majestueuse de la feuille au vent, une tristesse plus pure et plus poignante qu’un cygne mort. *

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    Calme ; solitude. Douce et obsédante présence d’un bonheur à peine ébauché. D’un bonheur pareil aux promesses de l’été, comme si j’étais ce bourgeon incertain, sur l’arbre en face de moi dans la rue. Et le ciel mi-gris, mi-bleu. Et l’automne, et la mer, et le printemps, le soleil, l’herbe, la joie, un tas de choses à peine mûries.
    Je me sens tout constellé de désirs.

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    Il n’y a pas à dire ; les « sorties » ne me réussissent pas. Contrairement à mon attitude de ces temps derniers où j’avais mieux que « gardé une prudente réserve », où je m’étais rendu littéralement plat, lisse, anonyme et poli, je me suis conduit hier soir avec une insolence si facile qu’elle côtoyait la grossièreté. Je suis sorti hier soir pour raison d’amitié, mais il était difficile qu’une telle entreprise pût être menée à bien sur de pareilles bases. Certes, il ne faut rien attendre du contact de la société. Et singulièrement cette société-là, si appauvrissante. Il faut l’éviter, et si l’on se trouve, par nécessité, en sa présence, se réfugier le plus possible dans l’anonymat. Mais parfois l’on se sent dans une demi-forme, pas assez forte pour que l’on puisse se murer de silence, pas assez faible pour que l’on reste muet et anodin par simple lassitude. Cela donne cette attitude de compromis que j’ai eue hier soir, cette contradiction qu’il y a à mépriser et à se manifester quand même. Au moins ai-je fait tout cela sans bassesse, sans me déboutonner le moins du monde.
    Je me suis laissé aller pendant une heure à faire de l’esprit facile : les femmes, qui n’apprécient rien tant que l’impertinence et la facilité, pour peu que celle-ci ne soit pas trop criante, se sont mises à dédaigner les malheureux garçons que je venais de rendre ridicules, et à s’intéresser à ma présence. Là-dessus, je suis parti. « Pouvoir prendre ; ne pas prendre. » Mais il est encore supérieur de ne même pas daigner montrer que, si
    l’on veut, l’on peut prendre.
    Je ne crois vraiment pas avoir commis de faute grave. J’ai été un peu facile, mais je jure que ces gens-là ne valaient pas plus. Je leur ai manqué de respect jusqu’à un certain point, mais, jusqu’à un certain point, ils n’en méritaient pas. Je n’ai rien fait de dégradant, d’avilissant. Et si la rencontre avec cette fille que Renaud voulait me présenter a été un échec, c’est que la situation ne pouvait tourner autrement. D’où me vient, pourtant, cette sensation d’écœurement, de dégoût, de désaccord avec moi-même ?
    Il n’y a que le dialogue qui ne me laisse pas d’amertume. A trois, il est déjà difficile de s’entendre. Au-delà, cela devient impossible. Dans les rapports humains, le mal croît avec le nombre. Le diable, oui je crois que le diable a fait de la foule son lieu d’élection ; qu’il se cache dans les replis de la multitude ; qu’il n’ose s’attaquer à deux âmes solitaires, mais qu’il parvient à ronger ces mêmes âmes, lorsque le bruit, les voix et de
    nombreuses présences les étourdissent. Et qu’alors il infuse en elles son venin, qui n’est jamais que la médiocrité. *

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