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    1. CULTE DES ENFANTS

    Notre époque est simultanément l’époque du combat de la technique et l’époque de préparation de la culture. Elle nous place devant une double exigence :

    1. La développement de l’Etat du travail.

    2. La préparation de l’Etat culturel.

    La première tâche place la politique au service de la technique — la seconde, au service de l’éthique.

    Seul le regard porté vers l’âge de la culture à venir donne à l’humanité souffrante et combattante de l’âge technique la force de poursuivre jusqu’à la victoire le combat contre les violences de la nature.

    Le travail supplémentaire que l’humain moderne fournit, par rapport à l’humain médiéval, est son legs  aux humains du futur ; à travers ce travail supplémentaire, il accumule un capital en connaissances, en machines et en valeurs, dont les intérêts seront un jour savourés par ses petits-enfants.

    La division de l’humanité en maîtres et esclaves , en émissaires de la culture et travailleurs forcés, est toujours en vigueur aujourd’hui : mais ces castes commencent à se déplacer du social vers le temporel. Nous ne sommes pas  les esclaves de nos contemporains — mais de nos petits-enfants. À la place d’une contiguïté des états de maîtres et d’esclaves, notre conception  culturelle pose une succession des époques d’esclaves et de maîtres. Le monde du travail d’aujourd’hui érige les fondements du monde culturel de demain.

    Tout comme jadis l’otium culturel des maîtres était construit sur le surmenage des esclaves — de même l’otium culturel du futur sera construit sur le surmenage du présent. L’humanité de maintenant] est au service de celle qui vient ; nous semons ce que d’autres récolteront ; notre temps travaille, cherche, lutte — pour qu’un monde futur puisse renaître dans la beauté.

    Au culte oriental des ancêtres, s’est ainsi substitué un culte occidental des enfants. Il fleurit dans l’État du travail, capitaliste comme communiste : en Amérique comme en Russie. Le monde s’agenouille devant l’enfant en tant qu’idole, en tant que promesse d’un avenir plus beau. C’est devenu un dogme que de penser d’abord à l’enfant lorsqu’il est question de bienfaisance. Dans l’Ouest capitaliste, les pères se tuent au travail pour laisser à leurs enfants des possibilités de vie plus riches — dans l’Est communiste, une génération entière vit et meurt dans la misère, pour assurer à ses descendants un avenir plus heureux et plus juste. La piété de l’âge européen est dirigée vers l’avant.

    Le culte de l’enfant, à l’Ouest, s’enracine dans la croyance  en le développement. L’Européen voit dans ce qui est plus tardif quelque chose de mieux, de plus hautement développé ; il croit que ses petits- enfants seront plus dignes de liberté que lui et ses contemporains : il croit que le monde avance. Là où l’Oriental voit le présent suspendu, en équilibre ] entre le passé et le futur — il apparaît à l’Européen comme une boule qui roule, se détachant toujours plus vite de son passé, pour se précipiter dans un futur inconnu. L’Oriental demeure au-delà du temps ; l’Européen va avec le temps : il repousse le passé et embrasse son futur. Son histoire est un perpétuel règlement de compte avec le passé et une ruée vers le futur. Dans la mesure où il fait l’expérience  de l’avancée du temps, l’immobilité signifie pour lui la régression. Il vit dans le monde héraclitéen du devenir — l’Oriental dans le monde parménidien de l’être .

    La conséquence de cette attitude en est, que notre âge n’est à évaluer que depuis la perspective de l’âge à venir. C’est un temps de préparation et de combat , d’immaturité et de passage. Nous sommes un genre jeune, qui marche sur le pont entre deux mondes, et qui se tient aux commencements d’un cercle culturel ] inexploré : notre plus forte émotion, nous l’éprouvons ainsi à travers la ruée vers l’avant, la croissance et les combats — et non à travers la pacifique jouissance de la maturité orientale. Notre but n’est pas le plaisir — mais la liberté ; notre chemin n’est pas la contemplation — mais l’action. —

    2. DEVOIR DU TRAVAIL

    Le développement  de l’Etat du travail est le seul devoir culturel  de notre âge. L’État du travail est la dernière étape de l’humain sur son chemin vers le paradis culturel du futur.

    Développer l’État du travail signifie : mettre toutes les forces du travail tangibles, de la nature et des humains, de la façon la plus rationnelle, au service de la production et du progrès technique. —

    Dans une époque qui construit les fondements de la culture à venir, personne n’a droit à l’otium. Le devoir du travail général est en même temps un devoir éthique et un devoir technique.

    Popper-Lynkeus a ébauché dans son ouvrage « Die allgemeine Nàhrpflicht » [« Le devoir de nourrir général »] un programme idéal pour le développement de l’État du travail. Il y demande qu’au devoir militaire soit substitué un service du travail obligatoire et général, lequel durerait plusieurs années et permettrait à l’État de garantir à vie à chacun de ses membres un minimum de subsistance, en termes de nourriture, habitat, habillement, chauffage et soins médicaux. Ce programme pourrait briser la misère et l’inquiétude, en même temps que la dictature des capitalistes et des prolétaires. À travers le devoir du travail général, les différences de classe cesseraient, comme cesse avec l’introduction du devoir militaire général, en temps de guerre, l’opposition entre les soldats de métier et les civils. — L’abolition du prolétariat est un idéal plus souhaitable que sa domination  . —

    Le travail forcé le plus général, est le prix que demande Popper- Lynkeus pour l’aplanissement de la misère et de l’inquiétude. Réduire au minimum ce travail forcé, à travers l’encouragement de la technique et l’amélioration de l’organisation, pour finalement le remplacer par un travail volontaire  — voilà ce qui forme le deuxième point du programme de l’État du travail.

    L’espoir que Lénine exprime dans « L’Etat et la Révolution », à savoir que l’humanité continuerait volontairement de travailler, même après l’abolition du travail forcé, n’est pas une utopie pour les pays du Nord. En effet l’Européen et l’Américain infatigables ne trouvent aucune satisfaction dans l’inactivité [139] ; à travers la contrainte multimillénaire, le travail leur est devenu une seconde nature : ils en ont besoin pour exercer leurs forces, et pour chasser le spectre de l’ennui. Leur idéal est actif, non contemplatif C’est pour cette raison — et non par cupidité — que la plupart des millionnaires de l’Ouest continuent de travailler sans répit, au lieu de savourer insouciamment leur fortune ; et pour cette même raison que beaucoup d’employés voient leur mise à la retraite comme un coup du destin, parce qu’ils préfèrent le travail auquel ils sont habitués plutôt que l’oisiveté forcée. —

    Dans l’état actuel de la technique, ce travail volontaire serait encore insuffisant pour bannir la détresse : beaucoup de surmenage et de travail forcé sont encore nécessaires afin de libérer le chemin pour le beau et libre travail du futur.

    L ’inventeur trace ce chemin vers le futur. Son oeuvre infatigable et silencieuse est plus essentielle et significative pour la culture que l’effervescence bruyante des politiciens et des artistes, qui se précipitent au premier plan de l’arène du monde. La société moderne se doit d’encourager par tous les moyens imaginables ses inventeurs et leurs activités : elle devrait leur accorder la même situation avantageuse que le Moyen Âge aménageait pour ses moines et ses prêtres, et ainsi leur proposer la possibilité de développer sans inquiétude leurs inventions.

    Tout comme les inventeurs sont les personnalités les plus importantes de notre époque, de même les travailleurs industriels en sont la position la plus importante : car ils forment la troupe de première ligne dans le combat de l’humain pour la maîtrise de la Terre et ils donnent naissance aux figures qui ont été engendrées par les inventeurs.

     

     

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  • 1. ÉTATS ÉCONOMIQUES

    Stinnes est le leader de l’économie capitaliste en Allemagne — Krassine  le leader de l’économie communiste en Russie. Dans ce qui va suivre ils devront être considérés en tant que représentants [ Exponenten ] des productions capitaliste et communiste, et non en tant que personnalités. —

    Depuis l’effondrement des trois grandes monarchies militaires européennes, il n’y a plus dans notre partie du monde que des Etats économiques : les problèmes économiques sont au centre de la politique intérieure et extérieure : Mercure (*) régit le monde ; en tant qu’héritier de Mars — en tant que précurseur  d’Apollon.

    La transformation d’État militaire en État économique est l’expression politique du fait qu’à la place du front de guerre, le front du travail se soit inséré au premier plan de l’histoire.

    A l’âge de la guerre correspondaient les Etats militaires — à l’âge du travail correspondent les Etats économiques.

    L’État communiste , tout comme le capitaliste , sont des États du travail : ce ne sont plus des États de guerre— et pas encore des États de culture. Les deux sont placés sous le signe de la production et du progrès technique. Les deux sont dominés  par des producteurs , tout comme jadis les États militaires étaient dominés par des militaires :

    l’État communiste par les leaders des travailleurs industriels — l’État capitaliste par les leaders des industriels.

    Le capitalisme et le communisme sont essentiellement apparentés, à l’instar du catholicisme et du protestantisme qui se sont considérés pendant des siècles comme des extrêmes contraires, et se sont de façon sanglante combattus par tous les moyens. Ce n’est pas leur différence, mais leur parenté, qui est à l’origine de la haine amère  avec laquelle ils se persécutent mutuellement.

    Tant que les capitalistes et les communistes resteront sur cette position selon laquelle il serait permis et enjoint de mettre à mort ou d’affamer des humains parce qu’ils défendent d’autres principes économiques — les deux se situeront, pratiquement , à un niveau de développement éthique très réduit. Théoriquement , les présupposés et les buts du communisme sont néanmoins plus éthiques que ceux du capitalisme, parce qu’ils émanent de points de vue plus objectifs et justes.

    Pour le progrès technique, les points de vue éthiques ne sont cependant pas déterminants : ici la question décisive est celle de savoir lequel, du système capitaliste ou du système communiste, est le plus rationnel et le plus approprié pour mener à bien le combat technique de libération contre les forces de la nature. —

    (*)Dans certaines mythologies gréco-latines, Vénus (alias Aphrodite, épouse d’Héphaïstos), a trompé son amant Mars (alias Arès, dieu de la guerre) avec le demi-frère de celui-ci, Mercure (alias Hermès, dieu du commerce, de la communication et des voyages). Hermès est aussi le «coursier», l’avant-coureur, le précurseur des dieux : le messager des dieux — notamment le messager des oracles d’Apollon, dont il est aussi le demi-frère

    2. LE FIASCO RUSSE

    Le succès parle en faveur de Stinnes, contre Krassine : l’économie capitaliste fleurit, tandis que l’économie communiste  reste au plus bas. Tirer des conclusions quant à la valeur de ces deux systèmes d’après ce constat serait facile — mais injuste. En effet on ne doit pas perdre de vue sous quelles circonstances le communisme a repris et mené l’économie russe : après un effondrement militaire, politique et social, après la perte de ses plus importantes zones industrielles, en lutte contre le monde entier, sous la pression d’un blocus de plusieurs années, d’une guerre civile ininterrompue et de la résistance passive des paysans, des bourgeois et de l’intelligentsia ; à quoi s’est encore ajouté la récolte catastrophique. Lorsque l’on prend en compte toutes ces circonstances, et les aptitude et formation organisationnelles plus faibles du peuple russe —

    on ne peut alors que s’étonner du fait que des restes d’industrie russe se soient maintenus.

    Vouloir mesurer l’échec du communisme dans sa cinquième année sous ces circonstances aggravées, à l’aune du succès du capitalisme longuement mûri, serait aussi injuste que de vouloir comparer un enfant nouveau-né avec un homme adulte, et à partir de là constater que l’enfant serait un idiot — alors qu’en lui sommeille peut-être un génie en devenir. —

    Même si le communisme s’effondre en Russie, il serait tout autant naïf de déclarer la révolution sociale avec lui écartée — qu’il aurait été insensé de croire la Réforme classée après l’effondrement du mouvement hussite : car peu de décennies après, Luther est apparu et a mené beaucoup des idées hussites à la victoire.

    3. PRODUCTIONS CAPITALISTE ET COMMUNISTE

    L 'avance essentielle de l’économie capitaliste réside dans son expérience . Elle domine toutes les méthodes d’organisation et de production, tous les secrets stratégiques dans le combat entre l’humain et la nature et dispose d’un état-major d’officiers industriels qualifiés. Le communisme au contraire se voit contraint, avec un état-major de généraux et un corps d’officier insuffisants, de faire de nouveaux plans de guerre et de chercher de nouvelles méthodes d’organisation et de production. Stinnes, sur des rails rodés, peut aller de l’avant — tandis que Krassine doit être un éclaireur, dans la forêt primaire de la révolution économique. —

    À travers la concurrence, le bénéfice et le risque, le capitalisme utilise un moteur insurpassable, qui maintient l’appareil économique en perpétuel mouvement : l’égoïsme. Chaque entrepreneur, inventeur, ingénieur et travailleur, se voit contraint dans l’État capitaliste de dépenser au maximum ses forces, pour ne pas être rattrapé par la concurrence et pour ne pas mourir. Les soldats et les officiers de l’armée du travail doivent pousser vers l’avant [ vorrücken : progresser], pour ne pas passer SOUS les roues .

    En la libre initiative de l’entrepreneur réside un avantage supplémentaire du capitalisme, auquel la technique doit beaucoup. L’un

    des problèmes les plus difficiles du communisme réside en la prévention de la bureaucratie économique, par laquelle il est constamment menacé. —

    Le principal avantage technique du communisme réside en ceci qu’il a la possibilité de concentrer la totalité  des forces productives et des trésors de la nature de ses zones économiques et de les utiliser rationnellement d’après un plan unitaire. Ce faisant, il économise toutes les forces que le capitalisme gaspille dans le repoussement de la concurrence. La planification principielle de l’économie communiste, qui entreprend aujourd’hui d’électrifier rationnellement l’immense empire russe d’après un plan unitaire, représente techniquement un avantage essentiel par rapport à Vanarchie de la production capitaliste. L’armée du travail communiste se bat sous un commandement uniforme et solidaire, contre la nature ennemie — tandis que les bataillons éclatés du capitalisme ne se battent pas seulement contre l’ennemi commun, mais en partie aussi les uns contre les autres pour le renversement des concurrents.

    Krassine tient en outre son armée plus fermement en main que Stinnes : car les travailleurs de l’armée de Stinnes comprennent clairement qu’une partie de leur travail sert à l’enrichissement d’un entrepreneur étranger, ennemi — tandis que les travailleurs de l’armée de Krassine sont conscients du fait qu’ils travaillent pour l’État communiste, dont ils sont les parties prenantes et les piliers. Stinnes apparaît à ses travailleurs comme un oppresseur et un adversaire — Krassine comme un leader  et un allié. Voilà pourquoi Krassine peut prendre le risque d’interdire des grèves et d’introduire des dimanches travaillés — tandis que pour Stinnes ce serait impossible.

    L’armée de Stinnes est décomposée par des insatisfactions et des mutineries (grèves) grandissantes — tandis que l’armée de Krassine, en dépit de sa misère matérielle, est portée par un but idéal. En bref : la guerre contre les forces de la nature est en Russie une guerre du peuple — en Europe et  en Amérique c’est une guerre dynastique des rois de l’industrie. —

    Le travail du travailleur communiste est un combat pour son État et pour sa forme d’État— le travail du travailleur capitaliste est une lutte pour sa vie. Ici le mobile principal  du travail est Y égoïsme — là-bas Y idéalisme politique-, en l’état actuel de

    l’éthique, l’égoïsme est, malheureusement, un moteur plus fort que l’idéalisme et à partir de là, la valeur de combat de l’armée du travail capitaliste est plus grande que celle de l’armée du travail communiste.

    Le communisme dispose d’un plan économique plus rationnel — le capitalisme d’un moteur du travail plus fort.

    Le capitalisme n’échouera pas à cause de ses défauts techniques mais à cause de ses défauts éthiques. L’insatisfaction de l’armée de Stinnes ne se laissera pas à la longue réprimer par les mitrailleuses. Le capitalisme pur se base sur la dépendance  et l’ignorance des travailleurs — tout comme l’obéissance aveugle militaire se base sur la dépendance et l’ignorance des soldats. Plus la classe des travailleurs devient indépendante , consciente d’elle-même et éduquée — plus il devient impossible aux rentiers de les laisser travailler pour leurs intérêts privés . —

    Le futur appartient à Krassine — l’ expérimentation russe est décisive pour l’économie du présent. C’est pourquoi il est dans l’intérêt propre du monde entier de, non seulement ne pas perturber cette expérience, mais encore de la soutenir  au maximum : car alors seulement son issue serait une réponse à la question de savoir si le communisme est capable de réformer l’économie actuelle— ou si le mal nécessaire du capitalisme lui est préférable.

    4. MERCENAIRES ET SOLDATS DU TRAVAIL

    À l’âge de la guerre, au capitalisme correspondait 1 ’armée des mercenaires  — au communisme l’armée du peuple.

    Au temps des mercenaires, tout riche rentier pouvait recruter et s’équiper d’une armée de guerre, qu’il rémunérait  et commandait — tout comme aujourd’hui tout riche rentier peut recruter et s’équiper d’une armée du travail, qu’il rémunère et commande.

    Il y a trois siècles, Wallenstein a joué en Allemagne un rôle analogue à celui de Stinnes aujourd’hui : à l’aide de sa fortune, qu’il avait accrue au cours de la guerre de Bohème, et de l’armée qu’il avait recrutée et entretenue au moyen de celle-ci, Wallenstein, de rentier, est devenu la personnalité la plus puissante de l’Empire allemand — tout comme

    aujourd’hui Stinnes , à travers sa fortune, qu’il a accrue au cours de la Guerre mondiale ainsi qu’à travers la presse et l’armée du travail qu’il recrute et entretient au moyen de celle-ci, est devenu l’homme le plus puissant de la République allemande. —

    Dans un Etat capitaliste, le travailleur est un mercenaire, l’entrepreneur un condottiere du travail — dans un Etat communiste, le travailleur est un soldat  d’une armée du peuple, qui dépend de généraux employés par l’Etat. Tout comme autrefois les condottieres conquéraient des principautés et fondaient des dynasties avec le sang de leurs mercenaires — de même les condottieres  modernes, avec la sueur de leurs travailleurs, conquièrent des fortunes et des positions de pouvoir, et fondent des dynasties de ploutocrates. Tout comme jadis ces chefs de mercenaires — les rois de l’industrie négocient de même aujourd’hui d’égal à égal avec les gouvernements et les États : ils orientent la politique par le biais de leur argent, comme jadis ceux-là par le biais de leur puissance.

    La réforme de l’armée du travail, que le communisme est en train de mener, correspond en tout point à la réforme de l’armée à laquelle tous les États modernes ont procédé.

    La réforme de l’armée a remplacé l’armée de mercenaires par une armée du peuple : elle a introduit le devoir militaire  général, étatisé l’armée, interdit le recrutement privé, remplacé les chefs de lansquenets par des officiers employés par l’État et exalté éthiquement le devoir militaire.

    L’État du travail introduit les mêmes réformes dans Yarmée du travail : il proclame le devoir du travail général, étatise l’industrie, interdit l’entrepreneuriat privé, remplace l’entrepreneur privé par des directeurs employés par l’État, et exalte le travail en tant que devoir moral. —

    Stinnes et Krassine sont tous deux des commandants en chef  de vigoureuses troupes de travail, qui se battent contre un ennemi commun : la nature nordique. Stinnes, en tant que Wallenstein moderne, conduit une armée de mercenaires — Krassine, en tant que maréchal  d’un Etat du travail, une armée du peuple. Alors que ces deux commandants en chef  se considèrent comme adversaires, ils sont alliés, marchent séparément, frappent unis.

     

     

    5. CAPITALISME SOCIAL — COMMUNISME LIBÉRAL

    Tout comme la régénération du catholicisme a été une conséquence de la Réforme, de même la rivalité entre le capitalisme et le communisme pourrait féconder les deux : si au lieu de se combattre mutuellement par le meurtre, la calomnie et le sabotage ils se limitaient à se prouver leur plus haute valeur via des performances culturelles.

    Aucune justification théorique du capitalisme ne plaide mieux en faveur de ce système que l’indiscutable fait que le sort des travailleurs américains (dont beaucoup vont à l’usine avec leur propre voiture) soit meilleur pratiquement que celui des travailleurs russes qui, uniformément entre collègues, ont faim et meurent de faim. En effet la prospérité est plus essentielle que l’égalité : mieux vaut que beaucoup deviennent prospères et peu riches — plutôt que domine une misère générale et uniforme. Seules l 'envie et la pédanterie  peuvent s’opposer à ce jugement. Le mieux serait cependant que la richesse soit universelle et générale — mais elle se trouve dans le futur, non dans le présent : seule la technique peut y conduire, pas la politique. —

    Le capitalisme américain est conscient du fait qu’il ne puisse s’affirmer qu’à travers des effets sociaux généreux. Il se voit comme un gérant de la richesse nationale, qu’il consacre au soutien de l’invention, à des buts culturels et humanitaires.

    Seul un capitalisme social, entreprenant ainsi de se réconcilier avec la communauté des travailleurs, a des perspectives d’existence : seul un communisme libéral, entreprenant de se réconcilier avec l’intelligentsia,  a des perspectives d’existence. L’ Angleterre essaie le premier chemin, la Russie le second, depuis peu.

    Mener une guerre contre la résistance des officiers est à la longue tout aussi impossible que mener une guerre contre la résistance des troupes.

    Ceci vaut aussi pour l’armée des travailleurs : elle dépend autant de leaders compétents que de travailleurs de bonne volonté.

    Krassine a compris qu’il était nécessaire pour le communisme d’apprendre du capitalisme. C’est pourquoi il encourage depuis peu l’initiative privée, nomme à la direction des entreprises d’État des ingénieurs énergiques et compétents, dotés de pleins pouvoirs et d’une prise de bénéfices toujours grandissants, et rappelle une partie des industriels chassés ; pour finir, il soutient le faible moteur du travail qu’est l’idéalisme par l’égoïsme, l’ambition, et la contrainte et cherche via ce système mixte à élever les performances de travail du prolétariat russe.

    Seules ces méthodes capitalistes peuvent sauver le communisme : car il a appris à reconnaître le fait que l’hiver et la sécheresse soient des despotes de la Russie bien plus cruels que tous les tsars et les grands-ducs réunis ; et que cette guerre de libération plus décisive encore, est aussi valable pour eux. C’est pourquoi il place aujourd’hui la bataille contre la faim, l’électrification et la reconstruction de l’industrie et des voies ferrées au centre de sa politique globale, sacrifiant même pour ces plans techniques toute une série de principes politiques. Il sait que son succès ou son échec économique conditionnera son succès ou son échec politique, et que dépend de lui le fait de savoir si finalement la Révolution russe mène à la délivrance du monde — ou à la déception du monde. —

    L’ abolition de la propriété privée ne peut, en l’état actuel de l’éthique, déchouer à cause d’insurmontables résistances psychologiques. Néanmoins le communisme reste un point charnière dans le développement économique, passant d’un État d’entrepreneurs à un État de travailleurs — et dans le développement politique, passant d’un système stérile de démocratie ploutocratique à une nouvelle aristocratie sociale d’humains spirituels.

    6. TRUSTS ET SYNDICATS

    Tant que le communisme ne se montrera pas assez mûr pour reprendre les commandes dans le combat technique de libération, Krassine et Stinnes devront s’entendre. Les imbéciles  fanatiques du capitalisme,

    tout comme du communisme, rejetteront ce chemin qui mène au travail en commun plutôt qu’au travail des uns contre les autres : seules les têtes  les plus claires des deux camps s’accorderont sur la reconnaissance du fait qu ’il vaille mieux sauver la culture du monde via une paix d’entente, que de la détruire via une victoire d’anéantissement. Alors les condottieres de l’économie deviendront des généraux, et les mercenaires de l’économie des soldats.

    Dans Xéconomie rouge de demain il ne pourra y avoir qu’aussi peu d’égalité entre les dirigeants  et les dirigés qu’il y en a aujourd’hui dans l’Armée rouge : mais les industriels du futur ne seront plus irresponsables comme aujourd’hui, ils se sentiront plutôt responsables de la totalité. Les capitalistes improductifs (petits trafiquants) disparaîtront de la vie économique, tout comme jadis disparurent de l’armée les généraux de la cour décoratifs . Comme c’est déjà aujourd’hui souvent le cas, le capitaliste productif devra devenir le travailleur le plus intensif de son usine. Via la chute simultanée de ses profits excessifs, s’engagera une égalisation plus juste entre son travail et ses revenus.

    Deux groupes de force économiques commencent, dans les États du travail capitalistes, à se partager la direction de l’économie : les représentants des entrepreneurs et des travailleurs — les trusts et les syndicats. Leur influence sur la politique croît et va dépasser en importance celle des parlements. Ils se compléteront et se contrôleront réciproquement comme jadis le sénat et le tribunat, la chambre haute et la chambre basse. Les trusts dirigeront la mise sous contrainte des forces de la nature et la conquête des trésors de la nature — les syndicats contrôleront la répartition des prises.

    Sur le terrain commun de l’augmentation de la production et du perfectionnement de la technique, Stinnes et Krassine s’accorderont : car ils sont adversaires sur la question de la répartition — alliés sur la question de la production  : ils se battent l’un contre l’autre sur la question de la méthode économique - et l’un avec l’autre dans la guerre de l’humanité contre les forces de la nature. —

     

     

     

     

     

     

     

     

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  • 1. PACIFISME HÉROÏQUE

    Le paradis du futur ne peut pas être dérobé par un putsch — il se conquiert seulement par le travail.

    L’esprit de l’âge technique est hêroïco-pacifiste : héroïque car la technique est une guerre avec un objet modifié — pacifiste car son combat ne se dirige pas contre les humains mais contre les violences de la nature. —

    \L héroïsme technique est non sanglant : le héros technique travaille, pense, agit, ose et accepte de ne pas en vouloir à la vie de ses congénères, mais plutôt de les délivrer  du joug esclavagisant de la faim, du froid, de la misère et du travail forcé.

    Le héros de l’âge technique est un héros pacifique du travail et de

    Le travail de l’âge technique est une ascèse : domination de soi et renoncement. Dans sa forme et dans sa dimension actuelles, il n’est pas un plaisir, mais plutôt un dur sacrifice que nous offrons à nos congénères et à nos descendants.

    IL ascèse signifie l’exercice : elle est l’expression grecque de ce qui en anglais se nomme training-, à travers cette traduction le concept d’ascèse perd son caractère pessimiste et devient optimisto-héroïque.

    L’ascèse optimiste, disant oui à la vie , de l’âge technique, prépare un royaume de Dieu sur Terre : elle défriche la Terre en paradis ; dans ce but elle déplace des montagnes, des fleuves et des mers, enveloppe la planète Terre de câbles et de rails, crée à partir de forêts primaires des plantations et à partir de steppes des terres agricoles. Comme un être supraterrestre, l’humain transforme la surface de la Terre d’après ses besoins. —

    2. L’ESPRIT D’INERTIE

    À l’âge du travail et de la technique, il n’y a pas plus grand vice que l’inertie— tout comme à l’âge de la guerre il n’y avait pas plus grand vice que la lâcheté.

    Le dépassement de l’inertie est la tâche principale de l’héroïsme technique.

    Là où la vie se manifeste en tant qu’énergie — l’inertie est signe de mort. Le combat de la vie contre la mort est un combat de la force d’agir contre l’inertie. La victoire de la mort sur la vie est une victoire de l’inertie sur la force d’agir. Les messagers de la mort sont la vieillesse et la maladie : en eux l’inertie gagne de la suprématie sur l’énergie vitale : les traits, les membres, les mouvements deviennent mous et pendants, la force de vie, le courage de vivre et la joie de vivre sombrent, tout se penche vers la terre, devient fatigué et inerte — jusqu’à ce que l’humain, ne pouvant plus avancer ni se [115] tenir droit, victime de l’inertie sombre dans la tombe : là triomphe l’inertie sur la vie.

    Tous les jeunes bourgeons se précipitent, à l’encontre de la gravité, vers le soleil Ai : tous les fruits mûrs tombent, terrassés par la gravité, à terre. —

    lé humain volant est un symbole de la victoire technique sur la force de gravité, de la volonté et de l’esprit humains triomphants sur l’inertie de la matière. Peu de choses sont aussi sublimes et belles que lui. Ici se marient la littérature et la vérité, le romantisme et la technique, les mythes de Dédale et de Wieland 44 avec les visions de Lionardo et de Goethe ; à travers les actions des techniciens les rêves littéraires les plus audacieux deviennent réalité : sur les ailes 45 que son esprit et sa volonté ont déployées, l’humain s’élève au-dessus de l’espace, du temps, de la gravité, au-dessus de la terre et de la mer. —

    3. BEAUTÉ ET TECHNIQUE

    Qui s’inquiétait encore quant à la valeur de beauté de la technique doit, eu égard à l’humain volant, se taire. Mais il n’y a pas que l’avion qui nous offre une nouvelle beauté : Vautomobile, le bateau à moteur, la locomotive du train, la dynamo sont aussi, dans leur activité et leur mouvement, d’une beauté propre et spécifique. Mais parce que cette beauté est dynamique, elle ne peut pas, comme la beauté statique du paysage, être fixée par le pinceau, la pointe et le burin : c’est pourquoi elle n’existe pas pour des humains dénués d’un sens de la beauté original, ayant besoin de l’art en tant que guide dans le labyrinthe 46 de la beauté.

    Une chose est belle à travers l’idéal de vitalité et d’harmonie auquel elle nous permet d’accéder , à travers l’impulsion en cette direction qu’elle nous donne. Chaque culture se crée ainsi ses propres symboles de force et de beauté :

    le Grec a augmenté sa propre harmonie au contact des statues et des temples ;

    le Romain a augmenté sa force et sa bravoure au contact des combats du cirque entre ses animaux féroces et ses gladiateurs ;

    le chrétien médiéval a approfondi et transfiguré son âme à travers une projection en la Passion du Christ, dans la messe et l’eucharistie ;

    le bourgeois  des temps modernes a grandi au contact des héros de son théâtre et de ses romans ;

    le Japonais a appris la grâce, la gracilité, et la dévotion au destin, de ses fleurs. —

    Dans un temps d’incessant progrès, l’idéal de la beauté a dû devenir dynamique — et avec lui son symbole. L humain de l’âge technique est un élève de la machine qu’il a créée : d’elle il apprend l’activité infatigable et la force concentrée. La machine, en tant que créature et temple de l’esprit saint humain, symbolise le dépassement de la matière par l’esprit, de la fixité par le mouvement, de l’inertie par la force : l’exténuement de soi au service de l’idée, la libération de l’humanité au travers de l’action. —

    La technique a offert à l’âge qui vient une nouvelle forme d’expression : le cinéma. Le cinéma est sur le point de prendre le relais du théâtre d’aujourd’hui, de l’église d’hier, du cirque et de l’amphithéâtre d’avant- hier et de jouer un rôle culturel phare dans l’État du travail du futur.

    Malgré tous ses défauts artistiques, le film commence aujourd’hui déjà à apporter inconsciemment un nouvel évangile aux masses : l’évangile de la force et de la beauté. Il annonce par-delà bien et mal  la victoire de l’homme le plus fort et de la femme la plus belle — et ce, que l’homme (qu’il surpasse ses rivaux en force de corps, de volonté ou d’esprit) soit aventurier ou héros, criminel ou détective ; et ce, que la femme (qu’elle soit par rapport aux autres, plus charmante ou plus noble, plus gracieuse ou plus dévouée) soit hétaïre ou mère . Ainsi prêche l’écran, en des milliers de variations, aux hommes : « Soyez forts ! » et aux femmes : « Soyez belles ! ».

    Le fait de clarifier et d’améliorer cette mission de pédagogie de masse sommeillant dans le cinéma, est pour l’artiste d’aujourd’hui l’une des tâches les plus grandes et pleines de responsabilités : car le cinéma du futur aura incontestablement une influence plus grande sur la culture prolétarienne, que le théâtre n’en a eu sur la culture bourgeoise. —

     

    4. ÉMANCIPATION

     

    Le culte de l’âge technique est un culte de la force. Pour l’épanouissement de l’harmonie, il manque le temps et l’otium. Sous leur signe se placera un jour l’âge d’or de la culture , qui fera suite à l’âge de fer du travail.

    On peut penser ici au film de Jean Eustache, La Maman et la Putain (1973), mettant notamment en scène les analyses d’Alexandre (Jean-Pierre Léau) sur la vie à l’aune des temps modernes :

    « ALEXANDRE - J'aime bien cet endroit. Quand je suis de mauvaise humeur je viens ici. Je suis leur meilleur client. En général il n'y a que des gens de passage. Ça ressemble à un film de Murnau : les films de Murnau c'est toujours le passage, de la ville à la campagne, du jour à la nuit. 11 y a tout cela ici. À droite : les trains, la campagne. À gauche : la ville. D'ici il semble qu'il n'y ait pas un gramme de terre. Rien que de la pierre, du béton, des voitures.

    VERONICA — Je n'aime pas cette lumière. »

    Son caractère masculo-européen est représentatif  de l’attitude dynamique de notre époque. L’éthique masculo-européenne de Nietzsche forme la protestation de notre âge contre la morale fémino-asiatique du christianisme.

    N émancipation de la femme est aussi un symptôme  de la masculinisation de notre monde : car elle ne mène pas le type humain féminin vers la puissance — mais plutôt le masculin. Tandis qu’auparavant la femme féminine  prenait part à la domination du monde via son influence sur l’homme — aujourd’hui les hommes des deux sexes brandissent le sceptre de la puissance économique et politique. L’émancipation des femmes signifie le triomphe de la femme masculine  sur la femme véritable, féminine ; elle ne conduit pas à la victoire — mais à l’abolition du féminin  . La Dame est déjà éteinte : la femme  doit la rejoindre. — À travers l’émancipation, le sexe féminin qui jusque-là avait été partiellement épargné, est mobilisé et enrôlé dans l’armée du travail. —

    Vémancipation des Asiatiques s’accomplit sous les mêmes conditions que l’émancipation des femmes ; elle est un symptôme de Xeuropéanisation de notre monde : car elle ne mène pas le type oriental à la victoire — mais plutôt l’européen. Tandis qu’auparavant l’esprit oriental dominait l’Europe grâce au christianisme — aujourd’hui les Européens blancs et colorés se partagent la domination du monde. Le soi-disant éveil de l’Orient signifie le triomphe de l’Européen jaune sur le vrai Oriental ; il ne mène pas à la victoire — mais à l’anéantissement de la culture orientale. Là où à l’Est vainc le sang de l’Asiatique, vainc avec lui l’esprit de l’Europe : l’esprit masculin, dur, dynamique, orienté vers un but, fort, rationaliste. Pour prendre part au progrès, l’Asiatique doit échanger son âme et sa culture harmonieuses contre l’âme et la culture européo-vitalistes. — L’émancipation des Asiatiques signifie leur entrée dans l’armée européo- américaine  du travail et leur mobilisation pour la guerre technique.

    Après l’achèvement victorieux de celle-ci, l’Asiatique pourra de nouveau être asiatique et la femme féminine : l’Asie et la femme pourront

     En allemand le terme Weib  (de genre neutre) est assez péjoratif. Il peut tout aussi bien désigner la femme, la femelle, ou encore la mégère. Contrairement à Frau qui recouvre aussi bien les termes femme que dame. Quant à Dame, emprunté au français, il reprend la désignation distinguée et noble de l’amour courtois. alors élever  le monde à une harmonie plus pure. Mais en attendant, les Asiatique doivent porter l’uniforme européen — les femmes le masculin.

    5. CHRISTIANISME ET CHEVALERIE


        Quiconque entend à travers le mot culture une harmonie avec la nature, doit appeler notre époque barbare — quiconque entend à travers le mot culture un démêlé  avec la nature,  doit honorer la forme spécifiquement masculo-européenne de notre culture. De par son origine christano-orientale, l’éthique européenne méconnaît la valeur éthique du progrès technique ; c’est sous la perspective nietzschéenne qu’apparaît pour la première fois comme bonne et noble la lutte héroïco-ascétique de l’âge technique pour la délivrance  à travers l’esprit et l’action.
        Les vertus de l’âge technique  sont avant tout : la  force d’agir,  l’endurance, la bravoure,  le renoncement,  la domination de soi  et la
    solidarité.  Ces singularités forgent l’âme pour le combat non sanglant et dur du travail social. —
        L’ éthique du travail  est reliée à l’éthique chevaleresque du combat  : toutes deux sont masculines, toutes deux nordiques. Seule cette éthique
    s’adaptera aux nouvelles conditions et substituera à l’honneur chevalier subsistant un nouvel honneur du travail.
     Le nouveau concept d’honneur reposera sur le travail — la nouvelle honte sur la paresse. L’humain paresseux sera vu et méprisé en tant que déserteur  du front du travail. Au lieu des commandants en chef ,  les inventeurs deviennent les objets de la nouvelle admiration héroïque : des créateurs de valeurs au lieu de destructeurs de valeurs.
        De la morale chrétienne,  l’éthique du travail reprendra l’esprit du pacifisme  et du socialisme  : parce que seule la paix est productive pour le
    développement technique — la guerre est destructive, et parce que seul l’esprit social du travail collectif de tous les créateurs peut mener à la
    victoire technique sur la nature. —

    6. LE DANGER BOUDDHISTE

    Toute propagande passivisante et ennemie de la vie, se dirigeant contre le développement technique et industriel — est une haute trahison contre l’armée du travail de l’Europe : car elle est un appel au retrait et à la désertion pendant le combat décisif. —

    Les tolstoïens et les néo-bouddhistes se rendent coupables de ce sacrilège culturel : ils appellent l’humanité blanche, peu de temps avant sa victoire finale, à capituler devant la nature, à évacuer les terrains conquis par la technique et à revenir volontairement à la primitivité de l’agriculture et de l’élevage de bétail. Fatigués du combat, ils veulent qu’à l’avenir l’Europe vivote dans sa nature pauvre un Dasein pauvre et enfantin — au beu de se créer victorieusement un nouveau monde, à travers le plus haut effort de l’esprit, de la volonté et des muscles.

    Ce qui en Europe est encore capable de vie et d’affronter la vie, rejette ce suicide de la culture : il sent l’unicité de sa situation et sa responsabilité devant l’humanité du futur. Une suspension d’armes de la technique rejetterait le monde dans le cycle culturel asiatique. Si près de son but, la révolution technique mondiale, qui s’appelle Europe, s’effondrerait, et l’un des plus grands espoirs de l’humanité serait enterré.

    L’Europe du Nord, qui vit de ses créations héroïques, doit repousser l’esprit bouddhiste démoralisant. Le Japon doit, à mesure qu’il s’industrialise, rompre intérieurement avec le bouddhisme ; de même l’Europe devrait, à mesure qu’elle s’adonne intérieurement au bouddhisme, négliger et trahir sa mission technique. Le bouddhisme est un merveilleux couronnement des cultures matures — mais un cadeau empoisonné pour les cultures en devenir. Sa vision du monde est bonne pour la vieillesse, pour l’automne — tout comme la religion de Nietzsche l’est pour la jeunesse, pour le printemps — la croyance  de Goethe pour l’apogée de l’été. —

    Le bouddhisme étoufferait la technique — et avec elle l’esprit de l’Europe. —

    L’Europe doit rester fidèle à sa mission et ne jamais renier les racines de son essence : 1 ’héroïsme et le rationalisme, la volonté germanique et l’esprit hellène. En effet le miracle de l’Europe est d’abord né du mariage de ces

    deux éléments. L’aveugle penchant pour l’action des barbares nordiques est devenu voyant et fécond au contact de la culture spirituelle méditerranéenne : c’est ainsi que les guerriers sont devenus des penseurs et les héros des inventeurs.

    Le mysticisme de l’Asie menace la clarté spirituelle de l’Europe — la passivité de l’Asie menace sa force d’agir masculine. Si et seulement si l’Europe résiste à ces tentations et se souvient de ses idéaux hellènes et germaniques — alors elle pourra combattre jusqu’à la fin pour le combat technique, afin de délivrer  un jour elle-même et le monde.

     

     

     

     

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  • 1. CULTURE ET ESCLAVAGE

    Toute culture jusque-là a été fondée sur l’esclavage : l’antiquité sur les esclaves, le Moyen Age sur les serfs, les temps modernes sur les prolétaires. —

    L’importance des esclaves repose sur le fait qu’à travers leur non-liberté et leur surplus de travail ils créent un espace pour la liberté et l’otium d’une caste dominante, qui est la condition préalable de toute formation culturelle. En effet il n’est pas possible que ce soit les mêmes humains qui fournissent le monstrueux travail physique exigé pour l’alimentation, l’habillement et le logement de leur génération — et en même temps le monstrueux travail spirituel nécessaire à la création et au maintien d’une culture.

    Partout domine la division du travail : pour que le cerveau puisse penser, les entrailles doivent digérer ; si leurs racines ne s’enterrent pas sous terre, les plantes ne peuvent fleurir dans le ciel. Les émissaires de chaque culture sont des humains épanouis ; l’épanouissement est impossible sans une atmosphère de liberté et d’otium : la roche aussi ne peut cristalliser que dans un environnement fluide et libre ; là où elle est enfermée et non libre, elle doit  demeurer amorphe.

    La liberté et l’otium culturellement formés d’une minorité n’ont pu être créés qu’à travers la servitude et le surmenage de la majorité. Dans les régions nordiques et surpeuplées, le Dasein divin de milliers 40 a toujours et partout été construit sur le Dasein animal de centaines de milliers.

    Les temps modernes, avec leurs idées chrétiennes et sociales, se sont trouvés devant une alternative : ou bien renoncer à la culture — ou bien maintenir l’esclavage. Les scrupules esthétiques parlèrent contre la première éventualité — les scrupules éthiques contre la seconde : la première révulsait le goût, la seconde le sentiment.

    L’Europe de l’Ouest s’est décidée pour la seconde solution : pour maintenir le reste de sa culture citoyenne, elle a maintenu dans le prolétariat industriel l’esclavage sous une forme déguisée — tandis que la Russie s’apprête à atteindre la première solution : elle libère ses prolétaires, mais cette libération d’esclaves sacrifie  toute sa culture.

    Ces deux solutions sont de par leurs conséquences insupportables. L’esprit humain doit chercher une issue à ce dilemme : il va la trouver dans la technique. Elle seule peut à la fois briser l’esclavage et sauver la culture.

    2. LA MACHINE

    Le but final de la technique est : le remplacement du travail des esclaves par le travail des machines ; l’élévation de la communauté humaine à une caste dominante, au service de laquelle travaille une armée de forces naturelles sous la forme des machines .

    Nous nous trouvons sur le chemin vers ce but : auparavant, presque toutes les énergies techniques devaient être produites par les muscles des humains ou des animaux — aujourd’hui ils sont multiplement remplacés par la force de la vapeur, l’électricité et la force du moteur. À l’humain

     Dans le film Octobre (1927), de Sergueï Eisenstein, mettant en scène la Révolution d’octobre 1917 (commande d’Etat pour son dixième anniversaire), une séquence de la fin du film reprend en quelque sorte cette question : le Palais d’hiver a enfin été pris d’assaut, les révolutionnaires sont à l’intérieur, dont un groupe de trois, dans la chambre de la tzarine. En pleine action euphorique de destruction, l’un d’entre eux s’immobilise pour regarder ce qu’il y a autour : Eisenstein montre alors les vestiges de l’ancienne culture aristocrate, orthodoxe et chrétienne — peintures, sculptures, photographies, mobilier. 11 y a suspension dans l’action : un moment de contemplation. Puis le révolutionnaire crache et l’on devine que tout sera détruit. Le cinéma soviétique (avec Dziga Vertov et Eisenstein notamment) a joué un rôle important dans la construction d’un nouveau patrimoine culturel : cette commande même répond à une volonté étatique de faire patrimoine culturel. Et aujourd’hui encore ces deux réalisateurs (notamment) sont considérés comme étant des virtuoses (à l’échelle mondiale) du septième art, des maîtres. Avec près d’un siècle de recul, il est peut-être davantage possible aujourd’hui de considérer la complexité de la culture soviético-russe (ou russo-soviétique). Cette mise en scène mythique du saccage / de la libération du Palais d’hiver ne manque pas d’évoquer le bûchage systématique des têtes, sur toutes les sculptures, lors de la Terreur française. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Beaucoup de ces sculptures ont été remplacées ou restaurées. Les traces de cette violence, de cette mémoire, ne sont plus palpables que sur les moulages réalisés dans les années 1950. Après restauration, les originaux ne manifestent plus, généralement, cette mémoire échoit de plus en plus le rôle d’un régulateur des énergies — au lieu de celui de producteur. Hier encore le travailleur tirait la culture en avant comme un coolie — demain il en sera le chauffeur , qui observe, pense et oriente, au lieu de courir et de transpirer.

    La machine est la libération des humains du joug du travail d’esclaves. Grâce à elle, un cerveau peut fournir plus de travail, et créer plus de valeurs, que des millions de bras. La machine est l’esprit humain matérialisé, la mathématique gelée, la créature reconnaissante de l’humain, engendrée par la force spirituelle de l’inventeur, née de la force musculaire du travailleur.

    La machine a une double tâche : augmenter la production ainsi que réduire et alléger le travail.

    A travers l’augmentation de la production, la machine brisera la misère — à travers la réduction du travail, l’esclavage.

    Aujourd’hui le travailleur ne peut être humain qu’en moindre partie — parce qu’il doit en grande partie être une machine : dans le futur la machine reprendra la partie machinale, la partie mécanique du travail et laissera aux humains la partie humaine, la partie organique. La machine offre ainsi un aperçu sur la spiritualisation et l’individualisation du travail humain : sa composante libre et créatrice grandira au détriment de sa composante automatico-mécanique— la composante spirituelle au détriment de la composante matérielle. Alors seulement le travail cessera de dépersonnaliser, de mécaniser et d’humilier les humains ; alors seulement le travail deviendra semblable au jeu, au sport et à l’activité créatrice libre. Il ne sera pas, comme aujourd’hui, un otage qui oppresse tout ce qu’il y a d’humain — mais un moyen contre l’ennui, un divertissement et un exercice physique ou spirituel à l’épanouissement de toutes les capacités. Ce travail, que l’humain fournira en tant que cerveau de sa machine, et qui est fondé sur la domination, stimulera au lieu d’abrutir, élèvera au lieu de rabaisser. —

    3. DÉCONSTRUCTION DE LA GRANDE VILLE

    À côté de ces deux tâches : la soulagement de la misère par l’augmentation de la production et la dé construction de l’esclavage par la réduction et l’individualisation du travail — la machine a encore une troisième mission culturelle : la dissolution de la grande ville moderne et le retour  des humains à la nature. —

    L’origine de la grande ville moderne remonte à un temps où le cheval était le moyen de transport le plus rapide, et où il n’y avait pas encore de téléphone. À cette époque il était nécessaire que les humains vivent dans la plus proche proximité de leur heu de travail, et par conséquent qu’ils vivent parqués tous ensembles sur un espace étroit.

    La technique a modifié ces présupposés : le chemin de fer , la voiture , le vélo et le téléphone permettent aujourd’hui au travailleur d’habiter éloigné de beaucoup de kilomètres de son bureau [Bureau]. Il n’y a plus aucune nécessité de construire [109] et d’agglomérer des immeubles . À l’avenir, les humains auront la possibilité de vivre les uns à côté des autres plutôt que les uns sur les autres, de respirer un air sain dans des jardins, et de mener une vie saine, pure et humainement digne dans des chambres claires  et spacieuses. Les poêles électriques et à gaz protégeront contre le froid de l’hiver (sans les efforts relatifs au chauffage et à la procuration de matériaux combustibles), les lampes électriques protégeront contre les longues nuits d’hiver. L’esprit humain triomphera de l’hiver et fera de la zone nordique une espace tout aussi habitable que les zones tempérées.

    Le développement en cités-jardins 42 a déjà commencé : les riches quittent les centres des grandes villes qu’ils habitaient auparavant et s’installent à leurs périphéries ou dans leurs environs. Les villes industrielles nouvellement émergentes s’étirent en largeur plutôt qu’en hauteur. —

    Au plus haut niveau, les villes du futur auront dans leur configuration quelques similitudes avec celles du Moyen Age : tout comme étaient groupées autour d’une immense cathédrale les petites maisons bourgeoises — de même s’étendront un jour autour d’un immense gratte- ciel (qui réunira tous les bureaux publics et privés, tout en étant magasin et restaurant) les petites maisons et les vastes jardins des cités-jardins. Dans les villes-usines, l’usine sera cette cathédrale du travail centrale : la prière de  L’architecte Bruno Taut (cf. la Glàserne Kette [chaîne de verre]) a notamment travaillé sur ces projets de Gartenstaclt (villes-jardins). Son ouvrage Une couronne pour la ville (1917), ainsi que l’ouvrage de son ami Paul Scheerbart, L’architecture de verre (1914), sont habités par ces problématiques d’un urbanisme techno-spirituel.

    l’humain dans ces cathédrales du futur sera un travail pour la communauté.

    Celui qui ne sera pas professionnellement attaché à la ville vivra à la campagne, qui elle-même prendra part au confort, à  l’activité et au divertissement des villes via des lignes haute tension et des connexions sans fil.

    Un temps viendra, où les humains ne comprendront plus comment il fut un jour possible de vivre dans les labyrinthes de pierre que nous connaissons aujourd’hui en tant que grandes villes modernes. Leurs ruines seront alors contemplées avec étonnement, comme aujourd’hui le sont les logis des habitants des cavernes. Les médecins se casseront la tête pour tenter de comprendre comment, d’un point de vue hygiénique, il était malgré tout possible dans une telle rupture d’avec la nature, la liberté, la lumière, et l’air, dans une telle atmosphère de suie, de fumée, de poussière, de saleté, que des humains puissent malgré tout vivre et pousser. —

    La déconstruction à venir de la grande ville , en tant que conséquence de l’amélioration de la technique des transports, est un présupposé nécessaire de la culture effective. En effet dans l’atmosphère non naturelle et malsaine de la grande ville actuelle, les humains sont  systématiquement empoisonnés et mutilés dans leur corps, leur âme et leur esprit. La culture de la grande ville est une plante fangeuse : car elle est portée par des humains dégénérés, maladifs et décadents qui sont, volontairement ou involontairement, tombés dans cette impasse de la vie. —

    4. LE PARADIS CULTUREL DES MILLIONNAIRES

    La technique est en mesure de proposer à l’humain moderne plus de possibilités de bonheur et d’épanouissement que ne l’ont pu par les temps passés leurs princes et leurs rois.

    Cependant aujourd’hui encore, au commencement de la période technique mondiale, le nombre de ceux pour lesquels les inventions  des temps modernes sont disponibles de façon illimitée, est faible.

    Un millionnaire en dollars moderne peut s’entourer de tout le luxe, de tout le confort, de tout l’art et de toute la beauté, que la Terre propose. Il peut savourer tous les fruits de la nature et de la culture, il peut, sans travailler, vivre où et comme il lui plaît. Grâce au téléphone et à la voiture, il peut au choix se lier au monde ou s’en détacher ; il peut vivre en ermite dans la grande ville ou en société dans son manoir  ; n’a besoin de se soucier ni du climat ni de la surpopulation ; la faim et le froid lui sont étrangers ; grâce à son aéroplane  il est le maître de l’air, grâce à son yacht le maître des mers. À bien des égards il est plus libre et plus puissant que Napoléon et César. Eux ne pouvaient dominer que des humains — mais non voler au-dessus des océans, ni parler sur des continents. Lui par contre est le maître de la nature. Les forces de la nature le servent en tant que serviteurs et esprits, invisibles et puissants. Avec leur aide il peut voler plus vite et plus haut qu’un oiseau, foncer plus vite qu’une gazelle sur la terre et vivre sous l’eau comme un poisson. Grâce à ces capacités et ces pouvoirs , il est plus libre même que le natif des mers du Sud et il surmonté la malédiction du paradis. Par le détour de la culture, il est retourné dans un paradis plus accompli . — *

    La technique a créé les fondements de cette vie si accomplie. Pour quelques élus, elle a fait des forêts primaires et des marécages nordiques un paradis culturel. Dans ces enfants de la chance, l’humain peut voir une promesse du destin, faite aux enfants de ses enfants. Ils sont les avant-gardes de l’humanité sur son chemin vers l’éden du  futur. Ce qui aujourd’hui est l’exception peut, à travers de plus vastes progrès techniques, devenir la règle. La technique a enfoncé la porte du paradis ; à travers l’étroite entrée, jusque-là peu sont passés : mais le chemin est ouvert et à travers l’assiduité et l’esprit, l’humanité entière va un jour pouvoir suivre ces enfants de la chance. L’humain n’a pas besoin de s’inquiéter : jamais il n’a été aussi près de son but qu’aujourd’hui.

    Il y a peu de siècles, la possession d’une fenêtre en verre, d’un miroir, d’une montre, de savon ou de sucre était encore un grand luxe : la production technique a répandu sur les masses ces biens jadis rares. À l’instar d’aujourd’hui où tout le monde porte une montre et possède un miroir — chaque humain pourrait peut-être dans un siècle avoir une voiture, sa villa et son téléphone. Plus les chiffres de la production augmentent rapidement par rapport aux chiffres de la population , et plus la prospérité doit augmenter vite, plus elle doit devenir générale.

    C’est le but culturel de la technique que de proposer un jour à tous les humains les possibilités de vie dont disposent aujourd’hui ces millionnaires. C’est pourquoi la technique se bat contre la misère — non contre la richesse ; contre la servitude — non contre la domination. Son but est la généralisation de la richesse, de la puissance, de l’otium, de la beauté et du bonheur : non la prolétarisation , mais l’aristocratisation de l’humanité ! —

     

     

     

     

     

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  •  

    1. LA MISÈRE DE MASSE EUROPÉENNE

    À travers l’augmentation de la surpopulation, la situation de l’Européen devient toujours plus inquiétante ; en dépit de tous les progrès techniques jusque-là, il se trouve encore dans un état vraiment lamentable. Il a fait reculer les spectres de la faim et du froid — mais au prix de sa liberté et de son otium.

    Le terrible travail forcé commence pour l’Européen dans sa septième année avec l’école forcée, et ne s’achève habituellement qu’avec la mort. Son enfance est empoisonnée par la préparation au combat pour la vie, qui va lui dévorer durant les décennies suivantes l’entièreté de son temps et de sa personnalité, de sa force vitale et de sa joie de vivre. Au-dessus de l’otium se dresse la peine de mort : l’Européen moyen non fortuné se trouve devant un choix : soit travailler jusqu’à l’épuisement, soit affamer tous ses enfants. Le fouet de la faim le pousse à continuer de travailler, en dépit de l’épuisement, du dégoût et de l’aigrissement [Erbitterung : exaspération].

    Les peuples européens ont entrepris deux essais pour améliorer cet état lamentable : la politique coloniale et le socialisme.

    2. POLITIQUE COLONIALE

    La première forme de politique coloniale consiste en la conquête et la colonisation de portions de terre faiblement peuplées, par des nations souffrant de surpopulation. La migration est en effet en mesure de sauver des pays de la surpopulation et d’assurer aux humains, pour qui la foule européenne devient insupportable, un Dasein libre et humainement digne. La migration propose encore à des millions d’humains une issue hors de l’enfer européen et devrait donc de toute façon être encouragée. —

    La deuxième forme de politique coloniale repose sur l’exploitation des portions de terre plus chaudes et des peuples de couleur. Les humains des races du Sud sont contraints et délogés hors de leur otium doré, par les canons et les fusils européens, à travailler au service de l’Europe. Le Nord plus pauvre mais plus fort pille systématiquement le Sud plus riche mais plus faible ; il lui vole richesse, liberté et otium et transforme ce vol en une augmentation de sa propre richesse, de sa propre liberté et de son propre otium.

    Quelques peuples européens doivent à ce moyen du vol, de l’exploitation et de l’esclavage, une partie de leur prospérité, qui les place en situation de pouvoir améliorer le sort de leurs propres [ einheimischen] travailleurs. —

    À la longue, ce moyen doit échouer : car son inéluctable conséquence est un monstrueux soulèvement des esclaves , qui finira par balayer les Européens hors des colonies colorées et détruira ainsi le fondement tropicale de la culture européenne. — [98]

    La migration n’est de même qu’un moyen provisoire : actuellement certaines colonies sont déjà aussi densément peuplées que leur pays maternel et nourrissent la même misère. Le temps viendra, où il n’y aura plus de région vide d’humains sur Terre.

    En attendant, d’autres moyens doivent être trouvés pour contrer la fatalité européenne.

    3. POLITIQUE SOCIALE

    Le socialisme a entrepris le deuxième essai pour soulager la misère de masse européenne.

    Le socialisme veut bannir l’enfer européen à travers une répartition uniforme de la charge de travail et du rendement du travail.

    Il ne fait aucun doute que le sort des masses européennes pourrait être essentiellement amélioré à travers des réformes raisonnables. Mais si le progrès social n’est pas porté par un essor de la technique, il ne peut que soulager la misère sociale et non y remédier.

    En effet la charge de travail nécessaire à l’alimentation et au chauffage des bien trop nombreux Européens, est grande ; et le rendement du travail

    que rapporte une Europe rude et peu suffisamment fertile, même à travers la plus intensive des exploitations, est faible, de sorte que même à travers une répartition plus juste, à chaque Européen échoit beaucoup de travail et fort peu de salaire. En l’état actuel de la technique, la vie dans une Europe socialiste se résoudrait en une double activité : travailler pour manger et manger pour travailler. L’idéal d’égalité serait atteint, mais de la liberté, de l’otium et de la culture [99], l’Europe en serait plus éloignée que jamais. Pour libérer les humains, l’Europe est d’un côté trop barbare et de l’autre trop pauvre. La fortune des quelques riches, une fois distribuée à tous, disparaîtrait sans laisser de trace : la pauvreté ne serait pas supprimée, mais généralisée.

    Le socialisme seul n ’est pas en mesure de mener l’Europe hors de sa non- liberté et de sa misère, vers la liberté et la prospérité. Ni un bulletin de vote, ni des actions boursières ne pourraient dédommager le mineur de charbon pour le fait de devoir passer sa vie dans des cavernes et dans des puits de mine. La plupart des esclaves de despotes orientaux sont plus libres que ce travailleur libre d’une usine socialisée [. sozialisierten].

    Le socialisme méconnaît le problème européen lorsqu’il voit dans la répartition injuste le mal fondamental de l’économie européenne, au lieu de le voir dans la production insuffisante. La racine de la misère européenne réside dans la nécessité du travail forcé — non dans l’injustice de sa répartition. Le socialisme se trompe lorsqu’il voit dans le capitalisme l’ultime cause du terrible travail forcé sous lequel gémit l’Europe ; car en vérité seule une partie très réduite du rendement européen s’écoule vers les capitalistes et leur luxe : la plus grande partie de ce travail sert à métamorphoser une partie du monde, de stérile à féconde, de froide à chaude, et à maintenir sur elle un nombre d’humains, qu’elle ne pourrait pas nourrir de façon naturelle.

    L’hiver et la surpopulation de l’Europe sont des despotes plus durs et cruels que tous les capitalistes réunis : mais ce ne sont pas les politiciens qui mènent la révolution [100] européenne contre ces impitoyables maîtres tyranniques — plutôt les inventeurs.

    4. RÉVOLUTION TECHNIQUE MONDIALE

    L 'impérialisme coloniale aussi bien que le socialisme sont des palliatifs , et non des remèdes pour la maladie européenne ; ils peuvent soulager la misère, non la bannir ; repousser la catastrophe, non l’empêcher. L’Europe devra se décider, soit à décimer sa population et commettre son suicide — soit à guérir à travers une augmentation considérable de la production ainsi qu’une amélioration de la technique. En effet seul ce chemin peut mener les Européens à la prospérité, à l’otium et à la culture, tandis que les voies de sauvetage socialiste et coloniale débouchent en fin de compte sur une impasse.

    L’Europe doit clairement comprendre que le progrès technique est une guerre de libération du genre le plus grand contre le tyran le plus dur, le plus cruel et le plus impitoyable : la nature nordique.

    Tout dépend de l’issue de cette révolution technique mondiale : soit l’humanité saisit cette occasion ne se présentant qu’une fois en des éons : devenir la maîtresse de la nature — soit elle laisse filer cette occasion, sans la saisir, peut-être pour toujours. —

    Il y a environ cent ans l’Europe a ouvert l’offensive contre la surpuissante nature , contre laquelle elle n’avait fait jusque-là que se défendre. Elle ne s’est plus contentée de vivre des grâces des violences de la nature : bien plutôt a-t-elle commencé à réduire son ennemie en esclavage. [101]

    La technique a commencé de compléter l’armée d’esclaves des animaux domestiques, et de remplacer l’armée d’esclaves des travailleurs manuels, par des machines activées par les forces de la nature.

     

    5. L’ARMÉE DE LA TECHNIQUE

    L’Europe (et avec elle l’Amérique) a mobilisé la Terre entière dans cette guerre, qui de toutes est la plus grande et la plus lourde de conséquences.

    Les troupes du front, appartenant à l’armée du travail [Arbeitsheeres] qui se déploie tout autour du monde et qui se bat contre l’arbitraire des forces de la nature, sont les travailleurs industriels ; ses officiers des ingénieurs, entrepreneurs et directeurs, son état-major est constitué d’inventeurs, ses

    unités du Train de paysans et d’agriculteurs, son artillerie de machines, ses tranchées de mines, ses forts d’usines.

    Avec cette armée [ Armee ], dont il prélève les réserves dans toutes les parties du monde, l’humain blanc espère briser la tyrannie de la nature, soumettre ses forces à l’esprit humain, et ainsi libérer définitivement l’humain.

     

    6. LA VICTOIRE ÉLECTRIQUE

    L’armée technique a remporté sa première victoire décisive sur l’un des plus vieux adversaires du genre humain : la foudre .

    Depuis toujours l’étincelle électrique a, sous la forme de la foudre, menacé, blessé et tué l’humain ; brûlé ses maisons et foudroyé son bétail. Cet ennemi sournois, qui ne l’a jamais aidé en aucune façon, l’humain en a été à la merci pendant des centaines de milliers d’années : jusqu’à ce que Benjamin Franklin, à travers l’invention  du paratonnerre, brise sa terrorisante domination sur l’humain.

    L’étincelle électrique en tant que fléau de l’humanité a été repoussée avec ça. Mais l’humain blanc ne s’est pas contenté de cette victoire défensive : il est passé à l’offensive et a réussi en un siècle à métamorphoser cet ennemi en esclave, ce plus redoutable des prédateurs en son animal domestique le plus utile.

    Aujourd’hui l’étincelle électrique, qui a jadis rempli d’effroi nos aïeux, illumine nos chambres, fait bouillir notre thé, repasse notre linge, chauffe notre chambre, fait sonner nos pendules, transporte nos lettres (télégramme), tire les trains et les voitures, active les machines — est donc en un mot devenue notre messager  , facteur, homme de service, cuisinier, réchauffeur, éclaireur, travailleur, porteur de charge et même notre bourreau. Ce que fait aujourd’hui en Europe et en Amérique l’étincelle électrique au service des humains ne serait nullement remplaçable, même par un doublement du temps de travail humain.

    Tout comme cette force de la nature, autrefois ennemie, n’a pas été seulement repoussée, mais plutôt métamorphosée en le plus indispensable et le plus utile des serviteurs de l’humain — de même, un jour, les marées des océans et les ardeurs du soleil, les tempêtes et les

    inondations, d’ennemis des humains deviendront esclaves des humains. Des poisons deviennent des aides, des bacilles mortels des vaccins. Tout comme l’humain des temps primordiaux a apprivoisé et soumis les animaux sauvages — de même l’humain des temps modernes apprivoise et soumet les sauvages forces de la nature.

    À travers de telles victoires, l’humain nordique  se conquerra un jour la liberté, l’otium et la culture : non à travers le dépeuplement ou le renoncement, non à travers la guerre et la révolution — mais à travers l 'invention et le travail, à travers l' esprit et l' action.

    7. L’INVENTEUR COMME RÉDEMPTEUR

    Dans notre époque historique européenne, l’inventeur est un plus grand bienfaiteur de l’humanité que le saint.

    L’inventeur de l'automobile a fait plus de bien pour les chevaux et leur a épargné plus de souffrances que toutes les associations de protection des animaux du monde réunies.

    La voiture citadine  est sur le point de délivrer  des milliers de coolies est-asiatiques de leur Dasein d’animal de trait.

    Les inventeurs des sérums contre la diphtérie et la variole ont sauvé la vie à plus d’enfants que toutes les pouponnières .

    Les esclaves galériens doivent leur libération aux techniques de navigation des temps modernes, tandis qu’à travers l’introduction de la combustion à pétrole, la technique moderne commence à délivrer le réchauffeur de machine à vapeur de sa profession infernale.

    L’inventeur qui, à travers quelque chose comme la fragmentation de l’atome , va créer un remplaçant pratique du charbon — aura plus oeuvré pour l’humanité que le plus réussi des réformateurs sociaux : car il délivrera les millions de mineurs de charbon de leur Dasein humainement indigne et effacera  une grande partie de la charge de travail humain — tandis qu’aujourd’hui aucun dictateur communiste ne pourrait éviter que des humains soient condamnés à cette vie minière souterraine.

    Le chimiste qui réussirait à rendre le bois comestible  libérerait l’humanité du joug esclavagisant de la faim qui l’opprime depuis plus longtemps et plus cruellement que toute domination violente humaine. —

    Ni l’éthique, ni l’art, ni la religion, ni la politique n'effaceront  la malédiction du paradis — mais plutôt la technique. À la technique organique, la médecine , revient le fait de supprimer la malédiction héréditaire de la femme : « Tu dois accoucher de tes enfants dans la douleur » ; à la technique inorganique revient le fait de supprimer la malédiction héréditaire de l’homme : « Tu dois manger ton pain à la sueur de ton front ».

    À de multiples égards, notre époque ressemble au commencement de l’époque impériale romaine. En ce temps-là, le monde espérait une délivrance  à travers le règne paisible de la pax romana. Le tournant mondial espéré survint — mais d’un tout autre côté : non pas de l’extérieur — mais de l’intérieur ; non pas à travers la politique — mais à travers la religion ; non pas à travers le César Auguste — mais à travers Jésus Christ.

    Nous nous trouvons aussi devant un tournant mondial ; l’humanité attend aujourd’hui de hère socialiste l’aube de l’âge d’or. Le tournant mondial espéré viendra peut-être : non, cependant, à travers la politique — mais à travers la technique ; non à travers un révolutionnaire — mais à travers un inventeur ; non à travers Lénine — mais à travers un homme  qui vit peut-être déjà aujourd’hui quelque part, anonymement, et qui réussira un jour à délivrer l’humanité de la faim, du froid et du travail forcé, à travers l’exploitation d’une source d’énergie nouvelle et sans précédent.

     

     

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