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    II. ÉTHIQUE ET TECHNIQUE

    1. LA QUESTION SOCIALE
        La question fatidique de la culture européenne  est : « Comment est-il possible de protéger de la faim, du froid, de la mort et du surmenage une humanité entassée sur l’espace exigu d’une portion de terre froide et pauvre, et de lui donner la liberté et l’otium à travers lesquels seuls elle peut accéder au bonheur et à la beauté ? »
        La réponse est : « À travers un développement de l’éthique  et de la technique ». —
     L'éthique  peut métamorphoser l’Européen, à travers l’école, la presse et la religion, de prédateur
    en animal domestique , et par ce biais le rendre mature pour une communauté libre — la technique
     peut, à travers l’augmentation de la production et la métamorphose des travaux forcés humains en travail des machines, offrir à l’Européen le temps libéré et la force de travail, dont il a besoin pour la construction d’une culture.

    L’éthique résout la question sociale de l’intérieur — la technique de l’extérieur. —

    En Europe, seules deux classes humaines ont les présupposés pour le bonheur : les riches, qui peuvent faire et avoir tout ce qu’ils veulent — et les saints,  qui ne veulent pas faire ou avoir plus que ce que leur destin leur accorde. Les riches se conquièrent une liberté objective, à travers leur pouvoir  de métamorphoser leurs congénères et les forces de la nature en organe de leur vouloir — les saints se conquièrent une liberté subjective, à travers l’indifférence avec laquelle ils affrontent les biens terrestres. Le riche peut s’épanouir vers l’extérieur — le saint vers l’intérieur.

    Tout le reste des Européens sont des esclaves de la nature et de la société : des forçats et des prisonniers.

    2. INSUFFISANCE DE LA POLITIQUE

        L’idéal de l’éthique est de faire de l’Europe une
    communauté de saints;  l’idéal de la technique est de faire de l’Europe une communauté de riches.
        L’éthique veut abolir la convoitise, pour que les humains ne se sentent plus pauvres — la technique veut abolir la misère, pour que les humains ne soient  plus pauvres.
        La politique  n’est en mesure ni de rendre les humains satisfaits, ni de les rendre riches. C’est pourquoi ses propres tentatives pour résoudre la question sociale sont vouées à l’échec. Ce n’est qu’en étant au service de l’éthique et de la technique que la politique peut participer à la résolution de la question sociale.
        Dans l’état actuel de l’éthique et de la technique, le maximum de ce que la politique pourrait atteindre serait la généralisation de la non-liberté, de la pauvreté et du travail forcé.
     Elle ne pourrait que rendre ce mal partout égal, et non le supprimer  ; ne pourrait que faire de
    L’Europe une maison de redressement pour forçats égaux en droits — mais nullement  un paradis. Le citoyen d’État de l’État social idéal serait moins libre et plus affligé que les insulaires des mers du Sud dans l’état de nature : l’histoire de la culture deviendrait l’histoire d’une fatale tromperie à l’encontre de l’humain.

    3. ÉTAT ET TRAVAIL

    Tant que l’éthique est trop faible pour protéger l’humain de ses congénères, et la technique trop sous-développée pour transférer sa charge de travail aux forces de la nature, — l’humanité cherche à repousser les dommages de la surpopulation à travers l 'État, les dangers du climat à travers le travail.

    L’Etat protège l’humain de l’arbitraire des congénères — le travail de l’arbitraire des violences de la nature.

    L’Etat forcé organisé accorde sous certaines conditions à l’humain, qui a renoncé à sa liberté, la protection de la personne et de la propriété contre les désirs de meurtre et de vol de ses congénères —

    le travail forcé organisé accorde dans les contrées nordiques à l’humain, qui a renoncé à son temps et à sa force de travail, la protection contre la famine et le froid. —

    Ces deux institutions commuent la peine de l’Européen, qui en tant que surnuméraire serait naturellement mort, en travaux forcés à vie. Pour vivoter, il doit donner sa liberté. En tant que citoyen d’État il est enfermé dans la carapace étroite de ses droits et devoirs — en tant que forçat, il est harnaché sous le dur joug de ses performances de travail. Qu’il se révolte [70] contre l’État— le gibet le menace alors; qu’il se révolte contre le travail — la mort de faim le menace alors. —

    4. ANARCHIE ET OTIUM

    L’État et le travail prétendent tout deux être des idéaux ; ils exigent de leurs victimes respect et amour. Cependant ils ne sont aucunement des idéaux : ce sont des nécessités sociales et climatiques lourdes à supporter.

    Depuis qu’il y a des États, la nostalgie de l’humain rêve $ anarchie, de l’état idéal d’absence d’État — depuis qu’il y a le travail, la nostalgie de l’humain rêve d ’ otium, de l’état idéal du temps libre.

    L ’anarchie et l’otium sont des idéaux — non l’État et le travail, l'anarchie est, dans une société densément peuplée n’ayant pas un haut niveau éthique, inapplicable. Sa réalisation anéantirait nécessairement les derniers restes de liberté et de possibilité de vie que l’État réserve à ses citoyens . Dans la panique générale, les égoïsmes se collisionnant écraseraient les humains les uns contre les autres. Au lieu de conduire à la liberté, l’anarchie conduirait nécessairement à la pire non-liberté.

    À travers l’otium généralisé dans une partie nordique du monde, en l’espace d’un mois la plupart des humains mourraient nécessairement de faim et de froid. La détresse et la misère atteindraient leur sommet.

    Les ermites-anarchistes dominent dans les déserts et les champs de neige, parmi les Esquimaux et les Bédouins ; l’otium domine dans les pays du Sud faiblement peuplés et féconds.

    5. DÉPASSEMENT DE L’ÉTAT ET DU TRAVAIL

    L' État forcé et le travail forcé, ces deux protecteurs et maîtres tyranniques de l’humain culturel, ne peuvent être aplanis par aucune révolution politique ; seulement par l’éthique et la technique.

    Tant que l’éthique n’a pas dépassé l’État forcé, l’anarchie signifie le meurtre et le vol généralisés — tant que la technique n’a pas dépassé le travail forcé, l’otium signifie la mort de faim et de froid généralisées.

    Ce n’est qu’à travers l’éthique que l’habitant des pays surpeuplés peut se délivrerde la tyrannie de la société, ce n’est qu’à travers la technique que l’habitant des zones les plus froides peut se délivrer de la tyrannie des violences de la nature.

    La mission de l’État est de se rendre lui-même superflu à travers l’encouragement de l’éthique, et de conduire finalement à l’anarchie — la mission du travail est de se rendre lui-même superflu à travers l’encouragement de la technique, et de conduire finalement à l’otium.

    Ce n’est pas la communauté humaine volontaire qui est une malédiction — mais seulement l’État forcé ; ce n’est pas le travail volontaire qui est une malédiction — mais seulement le travail forcé.

    Ce n’est pas l’absence de bridage qui est idéal — mais la liberté ; ce n’est pas l’oisiveté qui est idéale — mais l’otium.

    L État forcé et le travail forcé sont deux choses qui doivent être dépassées  : mais elles ne peuvent être dépassées à travers l’anarchie et l’otium, tant que l’éthique et la technique ne sont pas mures ; pour y parvenir, l’humain doit développer l’État forcé pour encourager l’éthique — développer le travail forcé pour encourager la technique.

    Le chemin vers l’anarchie éthique passe par l’État forcé — le chemin vers l’otium technique passe par le travail forcé.

     « Zwangsstaat und Zwangsarbeit sind Dinge, die überwunden werden müssen » : cette phrase rappelle la phrase introductive de Zarathoustra, dans Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche :
    « Je vais vous enseigner le surhumain. L’humain est quelque chose qui doit être dépassé. Qu’avez-vous fait pour le dépasser ? »

    La courbe de la spirale culturelle, qui mène du paradis du passé au paradis du futur, empreinte le double cours  suivant :

    Anarchie naturelle — surpopulation — État forcé — éthique — anarchie culturelle ;

    Otium naturel — migration vers le nord — travail forcé — technique — otium culturel.

    Nous nous situons aujourd’hui au milieu de ces deux courbes, tout aussi éloignés des deux paradis : d’où notre misère. L’Européen moyen moderne n’est plus un humain de nature — mais pas encore un humain de culture ; il n’est plus un animal — mais pas encore un humain ; il n’est plus une partie de la nature — mais pas encore maître de la nature. —

    6. ÉTHIQUE ET TECHNIQUE

    L’éthique et la technique sont soeurs : l’éthique domine les forces de la nature en nous, la technique domine les forces de la nature autour de nous. Les deux cherchent à contraindre la nature à travers un esprit organisé .

    L’éthique cherche à travers l’abnégation héroïque à délivrer  l’humain : à travers la résignation — la technique, à travers l’affirmation  héroïque : à travers l ’acte.

    L’éthique retourne la volonté de puissance  de l’esprit vers l’intérieur : elle veut conquérir le microcosme.

    La technique retourne la volonté de puissance de l’esprit vers l’extérieur : elle veut conquérir le macrocosme.

    Ni l’éthique seule, ni la technique seule ne peuvent délivrer l’humain nordique : car une humanité qui a faim et froid ne peut être ni rassasiée  ni réchauffée à travers l’éthique — car une humanité méchante  et cupide ne peut être ni protégée d’elle-même ni satisfaite à travers la technique.

    À quoi sert aux humains toute moralité , si en même temps ils meurent de faim et de froid ? À quoi sert aux humains tout progrès technique, si en même temps ils en mésusent, pour se massacrer et se mutiler les uns les autres ?

    La culture de l’Asie souffre davantage de la surpopulation que du froid : elle a ainsi pu renoncer à la technique et s’adonner au développement éthique plus facilement que l'Europe, où l’éthique et la technique doivent se compléter.

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    I. LE PARADIS PERDU

        1. LA MALÉDICTION DE LA CULTURE

        La culture a métamorphosé l’Europe en une maison de redressement  et la plupart de ses habitants en forçats.
        L’humain culturel moderne vivote plus misérablement que tous les animaux des contrées sauvages : les seuls êtres qui soient encore plus pitoyables que lui sont ses animaux domestiques — car ils sont encore moins libres.
        Le Dasein d’un buffle dans la forêt primaire , d’un condor dans les Andes, d’un requin dans les
    océans, est incomparablement plus beau, plus libre et plus heureux que celui d’un travailleur d’usine européen, qui, jour après jour, heure après heure, enchaîné à sa machine, doit effectuer des gestes inorganiques, pour ne pas mourir de faim.
        L’humain aussi a été jadis, dans les temps primitifs , un être heureux : un animal heureux. Il vivait alors en liberté, en tant que partie d’une nature tropicale qui le nourrissait et le réchauffait. Sa vie consistait en la satisfaction de ses besoins ; il la savourait, jusqu’à ce qu’une mort naturelle ou
    violente le frappe.
    Il était libre  ; vivait dans la nature — au lieu de vivre dans un État où il jouait — au lieu de travailler : c’est pourquoi il était beau et heureux. Son courage de vie et sa joie de vivre [61] étaient plus forts que tous les maux qui le frappaient, et que tous les dangers qui le menaçaient.

    Au fils des millénaires, l’humain a perdu ce Dasein plaisant et libre. L’Européen, qui se prend pour le sommet de la civilisation, vit dans des villes non naturelles et laides, une vie non naturelle, laide, non libre, malsaine et inorganique. Avec des instincts atrophiés et une santé affaiblie, il respire dans des espaces empoussiérés un     air fétide ; la société organisée, l’État, lui dérobe toute liberté de
    mouvement et d’action, tandis qu’un climat rude le contraint au travail à perpétuité.
        La liberté, qu ’il possédait jadis, l’humain l’a perdue : et avec elle le bonheur . *


        2. ÉPANOUISSEMENT ET LIBERTÉ

        Le but final de tout Dasein terrestre est l’épanouissement: la roche veut cristalliser, la plante croître et fleurir, l’animal et l’humain vivre pleinement. Le plaisir , qui n’est connu que des humains et des animaux, n’a aucune valeur en propre sinon celle de symptôme : l’animal ne satisfait pas ses instincts parce qu’il y prend du plaisir — mais il éprouve du plaisir, parce qu’il satisfait ses instincts.
        L’épanouissement signifie la croissance selon les lois de l’intériorité
    propre :  la croissance en liberté.
     Chaque pression et contrainte extérieures inhibe la liberté de l’épanouissement. Dans un monde déterminé, la liberté n’a aucune autre signification que : la dépendance de lois internes, tandis
    que l’absence de liberté signifie : la dépendance de conditions externes. Le cristal n’a pas la liberté de se choisir n’importe quelle forme stéréométrique [62] : le bourgeon n’a pas la liberté de s’épanouir en n’importe quelle fleur : mais la liberté de la roche réside dans le fait de devenir cristal, la liberté du bourgeon dans le fait de devenir fleur. La roche non libre reste amorphe ou cristalline — la fleur
    non libre s’atrophie. Dans les deux cas, la contrainte extérieure est plus forte que la force intérieure. —
    Le produit de la liberté humaine est l’humain épanoui ; le produit de l’absence de liberté humaine : l’humain atrophié.
        C’est parce que l’humain libre peut s’épanouir, qu’il est beau et heureux. L’humain libre et épanoui est le but de tout développement et la mesure de toute valeur humaine.
        L’humain a perdu sa liberté d’antan : ce fut sa chute originelle.  Il est ainsi devenu une créature malheureuse et imparfaite. Tous les animaux     sauvages sont beaux — tandis que la plupart des humais sont laids. Il y a bien plus de tigres, d’éléphants, d’aigles, de poissons et d’insectes accomplis
    qu’il n’y a d’humains accomplis : car l’humain est, à travers la perte de sa liberté, atrophié et inabouti .
    La légende du paradis perdu des temps primitifs énonce la vérité suivante, à savoir que l’humain est un banni hors du royaume de la liberté, de l’otium [Mufie : loisir intelligent, temps libre] et de la vie naturelle, dans lequel aujourd’hui encore vit la faune de la forêt primaire, et duquel, parmi les humains actuels, quelques insulaires des mers du Sud sont encore les plus proches.
        Le paradis perdu est le temps du Dasein-animal humain sous les tropiques, quand il n’y avait encore aucune ville, aucun État, et aucun travail.

    3. SURPOPULATION ET MIGRATION VERS LE NORD

        Deux choses ont chassé l’humain de son paradis : la surpopulation et la migration vers des zones plus froides.
        À travers la surpopulation , l’humain a perdu la liberté d’espace  : partout il se heurte à ses congénères et leurs intérêts — c’est ainsi qu’il est devenu esclave de la société.
        À travers la migration vers le nord,  l’humain a perdu la liberté de temps : l’otium. En effet le climat rude le contraint au travail contre sa volonté, pour pouvoir vivoter : c’est ainsi qu’il est devenu
    esclave de la nature nordique.
        La culture a anéanti les trois formes de beauté qui transfiguraient le Dasein de l’humain naturel : la
    liberté, Xotium,  la nature.
     Elle leur a substitué l'Etat,  le travail  et la ville.
        L’Européen culturel est un banni du Sud, un banni de la nature.      En un sens, ce qui est haïssable est laid (et vice versa), et ce qui est beau est aimable. À travers cette liaison sémantique, on peut
    peut-être mieux comprendre l’insistance d’Emmanuel Kant (Critique de la facilité de juger)  à vouloir
    dissocier la beauté de toute composante utilitariste.

        4. SOCIÉTÉ ET CLIMAT

        Les deux maîtres tyranniques de l’Européen culturel se nomment : la société et le climat.
        La non-liberté sociale  atteint son point culminant dans la grande ville moderne, car ici la foule et la surpopulation sont maximales. Comme les humains n’y vivent pas seulement les uns à côté des autres, mais plutôt entassés les uns sur les autres, emmurés dans des blocs de pierre artificiels (des maisons) ; constamment surveillés et suspectés à travers les  organes de la société, ils doivent spontanément se plier à d’innombrables lois et prescriptions ; s’ils les enfreignent, ils sont martyrisés pendant des années par leurs congénères (incarcérés), ou bien assassinés (exécutés). — La non-liberté sociale est moins oppressante à la campagne que dans les villes, et elle est la moins oppressante dans les contrées peu peuplées, comme notamment l’Ouest américain, le Groenland, la Mongolie et l’Arabie. Là l’humain peut encore s’épanouir dans l’espace, sans immédiatement entrer en conflit avec la société ; là il y a encore un reste de liberté sociale.
        La non-liberté climatique  est à son niveau d’oppression maximal dans les pays culturels du Nord. Là l’humain doit arracher à un sol peu ensoleillé, pendant les courts mois d’été, la nourriture pour l’année entière, et en même temps se protéger du froid hivernal en se procurant habillement, habitat et chauffage. Qu’il se refuse à ces travaux forcés , et il meurt alors de faim ou de froid. Le climat nordique le contraint donc à un travail forcé sans répit, éreintant et pénible. — La nature accorde plus de liberté dans les zones tempérées, où l’humain ne doit servir que ce seul maître tyrannique : la faim ; tandis que
    le second : le froid, est vaincu grâce au soleil. L’humain le plus libre est l’humain tropical, car là les fruits et les noix le nourrissent sans travail. Là seulement il y a encore de la liberté climatique.
        L Europe est en même temps une portion de terre surpeuplée et nordique : c’est pourquoi l’Européen est l’humain le moins libre, esclave de la société et de la nature.
        La société et la nature font dériver leurs victimes l’une vers l’autre : l’humain qui fuit de la ville vers le désert pour y chercher la     protection contre le foule de la société — se voit menacé par un climat
    impitoyable, par la faim et le froid. L’humain, qui fuit devant les violences de la nature vers la ville pour y chercher la protection chez ses congénères — se voit menacé par une société impitoyable, qui l’exploite et l’écrase.

        5. TENTATIVES DE LIBÉRATION DE L’HUMANITÉ

        L’histoire du monde se compose des tentatives de libération de l’humain, hors du cachot de la société et de l’exil du Nord.
        Les quatre chemins principaux par lesquels l’humain a essayé de revenir dans le paradis perdu de la liberté et de l’otium, ont été les suivants :
        I. Le chemin vers l’arrière (l’émigration)  : retour à la solitude et au soleil ! C’est dans ce but que depuis toujours les humains et les peuples migrent des portions de terre très densément peuplées vers de plus désertiques, des zones les plus froides vers de plus chaudes. Presque toutes les invasions
    barbares, ainsi qu’une grande partie des guerres, découlent de ce besoin originel de liberté de mouvement, et de soleil.
    II. Le chemin vers le haut (la puissance)  : toujours plus haut, hors de la foule humaine, vers la solitude, la liberté et l’otium de la haute société !  Cet appel a résonné lorsque la puissance est devenue, à
    cause de la surpopulation, un prérequis de la liberté — à cause des conditions climatiques, un prérequis de l’otium. En effet seul le puissant peut s’épanouir sans avoir besoin de prendre  de précautions vis-à-vis de ses congénères — seul le puissant peut se libérer de la contrainte du travail, en laissant les autres travailler pour lui. Dans les pays surpeuplés l’humain se trouve devant un choix, soit marcher sur la tête de ses congénères, soit laisser sa tête se faire piétiner par eux : être maître ou valet, voleur ou mendiant. — Ce besoin général de puissance a été le père des guerres,  des révolutions,  et des
    combats  entre les humains.
      
        III. Le chemin vers l’intérieur (l’éthique)  : finie la foule extérieure, vive la solitude intérieure, fini le travail extérieur vive l’harmonie intérieure ! La libération des humains à travers la domination de soi
    l’autolimitation, et le désintéressement ; le détachement des besoins matériels comme protection contre le besoin ; diminuent les exigences en matière d’otium et de liberté, jusqu’à ce qu’elles correspondent à ces minima que proposent une société surpeuplée et un climat rude. 
    Tous les mouvements religieux  se réduisent à ce besoin de chercher un moyen de remplacer
    l’absence de liberté et le travail extérieurs par la liberté du coeur et la paix de l’âme du coeur.
        IV. Le chemin vers l’avant (la technique)  : dehors, hors de l’époque du travail d’esclave, vers un nouvel âge de liberté et d’otium, en passant par la victoire de l’esprit humain sur les forces de la nature ! Le dépassement de la surpopulation grâce à l’augmentation de la production, du travail d’esclave
    humain grâce à la mise en esclavage des forces de la nature. — Le progrès technique  et
    scientifique  découle de ces aspirations à briser la domination violente de la nature grâce à son asservissement.

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    10. JUDAÏSME ET NOBLESSE DU FUTUR


        Les émissaires principaux de la noblesse cérébrale : du capitalisme, du journalisme, de la littérature, qu’elle soit corrompue ou intègre, sont des Juifs . La supériorité de leur esprit les prédestine à devenir l’un des éléments les plus importants de la noblesse du futur.
    En regardant dans l’histoire du peuple juif, on est éclairé quant à son avance dans le combat pour le leadership de l’humanité. Il y a deux millénaires, le judaïsme était une communauté religieuse, composée d’individus éthiquement et religieusement prédisposés, provenant de toutes les nations du cercle culturel antique, avec un foyer central hébraïco-national situé en Palestine. À cette époque déjà, ce n’était pas la nation qui représentait ce qu’il y a de commun, ce qui réunit et ce qui prime, mais plutôt la religion. Au cours du premier millénaire de notre ère, sont entrés dans cette communauté de croyance des prosélytes issus de tous les peuples, avec pour finir, le roi, la noblesse et le peuple des Khazars mongols, les seigneurs du sud de la Russie. Ce n’est qu’à partir de là que la communauté religieuse juive s’est refermée en une communauté artificielle de peuples , et isolée de tous les peuples restants.
        À travers d’innommables persécutions, l’Europe chrétienne tente depuis un millénaire d’éradiquer le peuple juif. Le résultat en a été que tous les Juifs faibles en volonté, sans scrupule, opportunistes ou encore sceptiques, se sont laissé baptiser pour échapper aux supplices d’une persécution sans fin. De l’autre côté, sous ces conditions de vie très difficiles sont morts tous les Juifs qui n’étaient pas assez adroits,  Ce qui suit est surtout valable pour l’Europe centrale et l’Europe de l’Est.
           De toutes ces persécutions est ainsi finalement sortie une petite communauté, forgée par un martyr pour une idée héroïquement supporté, et purifiée de tous ses éléments faibles en volonté et pauvres en esprit. Au lieu d’anéantir le judaïsme : l’Europe, contre sa volonté, l’a ennobli à travers ce
    processus de sélection artificielle , et l’a élevé au rang de futur leader de la nation. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que ce peuple, réchappé du ghetto-cachot, se soit développé en une noblesse
    d’esprit européenne. Une providence pleine de bonté a donc, au moment où la noblesse féodale déclinait, offert à l’Europe à travers l’émancipation des Juifs, les grâces d’une nouvelle race de noblesse d’esprit.
        Le premier représentant  typique de cette noblesse du futur en devenir fut le noble Juif révolutionnaire Lassalle, qui en lui réunissait en grande proportion la beauté du corps avec le noble courage du caractère et l’acuité d’esprit : aristocrate dans le sens le plus haut et vrai du terme, il
    était un leader  né et un montreur de chemin pour son temps.
        Ce n’est pas : le judaïsme est la nouvelle noblesse, mais : le judaïsme est le giron duquel sort une nouvelle noblesse d’esprit européenne ; le noyau autour duquel se rassemble une nouvelle noblesse d’esprit. Une race de maîtres  spirituo-urbaine est en formation : des idéalistes pleins d’esprit et alertes
    , justes et fidèles à leurs convictions, aussi braves que la noblesse féodale dans ses meilleurs jours, prennent  lorsque l’on évoque Dieu, mais également monsieur.
     L’une des adresses usuelles pour commencer un discours étant : « Meine Damen und Herren
     », c’est-à-dire « Mesdames et Messieurs ». Le terme français de « seigneur »  ne rend pas vraiment compte de la banalité du mot Herren,  ni de sa connotation exclusivement masculine.
    Herr Dupont  signifie Monsieur Dupont-,  Herrscher  désigne le dominant, le souverain . L’expression Herrenrasse,  « race des maîtres », peut donc aussi se traduire littéralement par « race des dominants », « race des messieurs », « race des sieurs ». La forte composante virile et masculine disparaît un peu lors de sa traduction française : c’est alors le terme « race » qui concentre toute l’attention des lecteurs, leur rappelant que le texte date du début du XXe  siècle. Cependant, en allemand les deux racines composant le mot (« race » et « messieurs ») peuvent offrir matière à réflexion  allègrement sur eux la mort et la persécution, la haine et le mépris, afin de rendre l’humanité plus morale, plus spirituelle, plus heureuse.
        Les héros et les martyrs juifs de la révolution de l’Europe de l’Est et de l’Europe centrale n’ont rien à envier, en termes de courage, d’endurance et d’idéalisme, aux héros non juifs de la Guerre mondiale — tandis qu’ils les dépassent souvent en esprit. L’essence de ces hommes et de ces femmes, qui cherchent à délivrer et à régénérer l’humanité, est une synthèse singulière d’éléments religieux et politiques : de martyr héroïque et de propagande spirituelle, de force d’agir révolutionnaire et d’amour social, de justice et de compassion. Ces traits essentiels, qui ont fait d’eux autrefois les créateurs du mouvement mondial chrétien, les placent aujourd’hui à la tête du mouvement mondial socialiste.
        Avec ces deux tentatives de délivrance d’origine spirituo-morale , le judaïsme a bien plus enrichi les masses déshéritées européennes que n’importe quel autre peuple second ne l’a fait. Comment s’y est donc pris le judaïsme moderne pour surpasser tous les peuples restants grâce à son pourcentage d’hommes importants : à peine un siècle après sa libération, ce petit peuple se tient aujourd’hui à la pointe de la science moderne avec Einstein , à la pointe de la musique moderne avec Mahler,  à la pointe de la philosophie moderne avec Bergson,  à la pointe  de la politique moderne avec Trotski.
     Le judaïsme ne doit la place prééminente qu’il occupe à ce jour qu’à sa seule supériorité spirituelle,
     qui lui permet de vaincre la monstrueuse suprématie  de ses rivaux dotés de privilèges, haineux, et envieux, dans la compétition spirituelle.
        L’antisémitisme  moderne est l’une des nombreuses manifestations réactionnaires des médiocres contre l’éminence ; c’est une forme moderne & ostracisme,  dirigée contre un peuple entier. En tant que peuple, le judaïsme fait l’expérience du combat éternel de la quantité contre la qualité, des groupes de valeur moindre contre des individus de valeur plus élevée, des majorités de valeur moindre contre des minorités de valeur plus élevée.
    Les principales racines de l’antisémitisme sont la limitation  et l’envie : la limitation pour ce qui relève du religieux ou du scientifique ; l’envie pour ce qui relève du spirituel ou de l’économique.
        Du fait qu’ils soient issus d’une communauté religieuse internationale et non d’une race locale, les Juifs sont le peuple au sang le plus mélangé ; du fait qu’ils soient isolés du reste des peuples depuis un millénaire, ils sont le peuple à la consanguinité la plus forte. Les élus réunissent donc en eux, à l’instar de la haute noblesse, la force de volonté avec l’acuité d’esprit, tandis qu’une autre partie des Juifs allient les manques de la consanguinité avec les manques du mélange sanguin : l’absence de caractère avec la limitation. Ici, le plus saint des sacrifices de soi côtoie le plus limité des égotismes, l’idéalisme le plus pur côtoie le matérialisme le plus crasse. Ici aussi la règle s’applique : plus un peuple est métissé, plus ses représentants sont dissemblables les uns des autres, plus il est improbable de construire un type unique.
        Là où il y a beaucoup de lumière, il y a aussi beaucoup d’ombre.  Les familles géniales présentent un pourcentage plus élevé de fous et de voleurs que de médiocres ; c’est aussi valable pour les peuples.
     Il n’y a pas que l’aristocratie spirituelle révolutionnaire de demain — l’actuelle kakistocratie ploutocrate des trafiquants se recrute aussi particulièrement parmi les Juifs : et aiguise ainsi les armes démagogiques de l’antisémitisme.
        L’esclavage millénaire a retiré aux Juifs, à quelques rares exceptions près, les gestes des humains dominants .  L’oppression permanente inhibe l’épanouissement de la personnalité : et retire ainsi un
    élément crucial de l’idéal esthétique de la noblesse. Une grande partie du judaïsme souffre de ce manque autant physiquement que psychiquement ; ce manque est la principale raison pour laquelle l’instinct européen se refuse à reconnaître le judaïsme en tant que race noble.
        Le ressentiment  dont l’oppression a chargé le judaïsme, lui a donné beaucoup de motivation vitale; et lui a par contre retiré beaucoup d’élégante harmonie. Une consanguinité saturée, alliée à l’hyperurbanité du passé en ghetto, avait eu pour résultante beaucoup de marques de décadence physique et psychique. Ce que la tête des Juifs a gagné, leur corps souvent l’a perdu ; ce que leur cerveau a gagné, leur système nerveux l’a perdu.
            Le judaïsme souffre donc d’une hypertrophie du cerveau,  et se trouve ainsi en contradiction avec l’exigence noble d’un harmonieux épanouissement de la personnalité. La faiblesse physique et nerveuse de beaucoup de Juifs spirituellement un manque de courage physique (souvent en
    lien avec le plus grand courage morale) et une incertitude dans la façon d’être : soit des singularités
    qui  aujourd’hui encore semblent incompatibles avec l’idéal chevaleresque des humains de la noblesse.
    Le peuple des dominants spirituels que sont les Juifs doit ainsi souffrir sous les traits de l’esclave humain qui a laissé son empreinte sur son développement historique : aujourd’hui encore, beaucoup de personnalités de leader juives manifestent un maintien et des gestes d’humain non libre et opprimé. Dans leurs gestes, les aristocrates déclinants sont souvent plus nobles que les Juifs éminents. Ces manques du judaïsme, occasionnés par le développement, disparaîtront aussi par le développement. La rusticalisation du judaïsme (l’un des buts principaux du sionisme), alliée à une éducation sportive, libérera le judaïsme des restes du Ghetto, qu’il porte aujourd’hui encore en lui. Le développement du
    judaïsme américain prouve le fait que ce soit possible. De la liberté et de la puissance effectives, que le judaïsme a gagnées, découlera la conscience de celles-ci, et de la conscience progressivement découleront le maintien et les gestes de l’humain libre et puissant.
        Ce n’est pas seulement le judaïsme qui se transformera dans le sens de l’idéal occidental de noblesse — l’idéal occidental de noblesse fera lui aussi l’expérience d’une transformation qui retrouvera le judaïsme à la moitié du chemin. Dans une Europe du futur plus pacifique , la noblesse se défera de son caractère belliqueux et l’échangera contre un caractère spirituo-sacerdotal . Un Occident pacifié et socialisé n’aura plus besoin de maîtres et de dominants  — seulement de leaders , d’éducateurs et de modèles. Dans une Europe orientalisée, l’aristocrate du futur ressemblera davantage à un brahmane et à un mandarin qu’à un chevalier.

    RÉSUMÉ
        L’humain noble du futur ne sera ni féodal ni juif, ni bourgeois ni prolétaire : il sera synthétique.
     Les races et les classes, dans le sens d’aujourd’hui, disparaîtront, les personnalités demeureront.
        Ce n’est qu’à travers l’alliance avec le meilleur sang bourgeois, que les éléments les plus capables de développement de la noblesse féodale d’antan s’élèveront vers une nouvelle apogée ; ce n’est
    qu’à travers l’union avec les sommets de l’européanité non juive, que l’élément juif de la noblesse du futur parviendra à son plein épanouissement. Une noblesse rustique, hautement élevée physiquement,
    pourrait offrir aux humains élus du futur un corps et des gestes accomplis, une noblesse urbaine hautement formée spirituellement pourrait leur offrir une physionomie spiritualisée, des yeux et des mains dotés d’âme.
        La noblesse du passé était construite sur la quantité : la noblesse féodale sur le nombre d’ancêtres ; la noblesse ploutocrate sur le nombre de millions. La noblesse du futur reposera sur la qualité : sur la valeur personnelle, la perfection personnelle ; sur l’accomplissement du corps, de l’âme, de l’esprit.
        Aujourd’hui, au seuil d’un nouvel âge, une noblesse de hasard s’est substituée à la noblesse d’héritage d’autrefois ;  au lieu de races de nobles : des individus nobles ; des humains dont la composition hasardeuse du sang les élève au rang de modèle type.
        De cette noblesse de hasard d’aujourd’hui sortira la nouvelle race noble internationale et interraciale de demain. Toutes les personnes éminentes en beauté, en force, en énergie et en esprit se reconnaîtront et s’attacheront d’après les lois secrètes de l’attraction érotique. Que tombent d’abord les limites artificielles érigées entre les humains par le féodalisme et le capitalisme — ensuite les femmes les plus belles reviendront automatiquement aux hommes les plus significatifs, les hommes les plus
    accomplis aux femmes les plus éminentes. Plus un homme sera ensuite     parfait dans le physique, le psychique et le spirituel — plus le nombre de femmes parmi lesquelles il pourra choisir sera grand. Seule sera libre l’alliance des hommes les plus nobles avec les femmes les plus nobles, et inversement — les personnes de valeur moindre devront se satisfaire de personnes de valeur moindre. Ainsi, le mode d’existence érotique des personnes de valeur moindre et médiocres sera l’amour libre, celle des élus : le
    mariage libre.
     La nouvelle noblesse de reproduction du futur n’émergera donc pas des normes artificielles de la culture de castes humaine, mais plutôt des lois divines de l’eugénisme érotique.
        Le classement naturel de la perfection humaine remplacera le classement artificiel : du féodalisme et du capitalisme. Le socialisme, qui a commencé par l’abolition de la noblesse et par le nivellement de l’humanité, culminera dans la production de la noblesse, dans la différentiation de l’humanité. C’est ici, dans Xeugénisme social,  que réside  sa plus haute mission historique, qu’il ne reconnaît pas encore aujourd’hui : mener  d’une injuste inégalité, en passant par l’égalité, vers une inégalité juste,  en passant par les décombres de toute pseudo-aristocratie, vers une véritable nouvelle noblesse.

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  •  

    9. NOBLESSE DE SANG ET NOBLESSE DU FUTUR

        La noblesse repose sur la beauté du corps, de l’âme, et de l’esprit ; la beauté repose sur l'harmonie
     accomplie et la vitalité augmentée : quiconque surpasse son environnement en ces domaines, est
    aristocrate.
        L’ancien type aristocratique est en voie d’extinction ; le nouveau n’est pas encore constitué. Notre temps intermédiaire est pauvre en grandes personnalités : en beaux humains ; en nobles humains ; en sages humains.
    Pendant ce temps, des épigones de la noblesse en naufrage usurpent les formes mortes de l’aristocratie passée et les remplissent avec le contenu de leur misérable bourgeoisie .
    La vie pleine et dure de la noblesse du passé a été transmise à des arrivistes : il leur manque pourtant ses formes, sa distinction, sa beauté.
        L’époque n’a cependant pas à se soucier de l’idée de noblesse, de l’avenir d’une noblesse. Si l’humanité veut avancer, elle a besoin de leaders, de professeurs, de guides ; de réalisations de ce qu’elle veut devenir ; de précurseurs de son élévation à venir vers de plus hautes sphères. Sans noblesse, pas d’évolution.
     Une politique démocratique peut être eudémoniste — une politique évolutionniste doit être aristocratique.
    Pour s’élever, pour avancer, des buts sont nécessaires ; pour atteindre des buts, des humains sont nécessaires, qui posent des buts, qui mènent aux buts : des aristocrates.
        L’aristocrate en tant que leader est un concept politique ; le noble en tant que modèle est un idéal esthétique. La plus haute exigence requiert que l’aristocratie s’accorde avec la noblesse, le leader avec le modèle : que le leadership échoit à des humains accomplis.
        De l’européenne humanité de quantité, qui ne croit qu’au chiffre, qu’à la masse, se distinguent
    deux races de qualité  : la noblesse de sang  et le judaïsme .  Séparées l’une de l’autre, chacune demeure fixement rivée à sa croyance en sa plus haute mission, en son     meilleur sang, en une différence de rang humaine. Dans ces deux races avantagées hétérogènes réside le noyau de la noblesse européenne du futur : dans la noblesse de sang féodale, si tant est qu’elle ne se laisse pas
    corrompre par la cour, dans la noblesse cérébrale juive, si tant est qu’elle ne se laisse par corrompre par le capital. Comme garantie  d’un meilleur futur, il demeure un reste de noblesse rustique moralement  haute, et un petit groupe combattant de l’intelligentsia révolutionnaire. C’est ici que grandit au rang de symbole, la communauté entre Lénine,  l’homme de la petite noblesse rurale, et
    Trotski,  le lettré juif : ici se réconcilie l’opposition entre le caractère et l’esprit, le junker et le lettré, les humains rustiques et les humains urbains, les païens et les chrétiens, en une synthèse créatrice de l’aristocratie révolutionnaire.

    Un pas de plus vers le spirituel suffirait pour mettre au service de la nouvelle libération humaine les meilleurs éléments de la noblesse de sang, qui ont préservé à la campagne leur santé physique et morale des influences dépravantes de l’air de la cour. Les prédestinent en effet à cette prise de position leur  courage traditionnel, leur mentalité antibourgeoise et anticapitaliste, leur sentiment de responsabilité, leur mépris des avantages matériels, leur entraînement stoïcien de la volonté  , leur intégrité, leur idéalisme. Orientées dans des voies plus spirituelles et plus libres, les fortes énergies nobles, qui jusqu’à maintenant ont été des piliers du réactionnisme, pourraient se régénérer en une nouvelle apogée et engendrer des natures de leader, qui allieraient l’inflexibilité de la volonté avec la grandeur d’âme et le désintéressement  ; et au lieu de servir, en représentants  de la bourgeoisie (qui intérieurement les répugne), les intérêts du capitalisme, ils pourraient marcher d’un même pas avec les représentants de la noblesse d’esprit rajeunie, vers la libération et l’ennoblissement de l’humanité.

    La politique a été en Europe, à travers les siècles, le privilège de la noblesse. La haute noblesse formait une caste politique internationale, élevée dans le talent diplomatique. Depuis de nombreuses générations, la noblesse de sang européenne vit dans une atmosphère politique, dont la bourgeoisie a été intentionnellement écartée. Dans les latifundia, le noble apprenait l’art de la gouvernance, de l’administration des humains — dans les postes étatiques de dirigeant, à l’intérieur ou à l’étranger, l’art de l’administration des peuples. La politique est un art, non une science ; son centre de gravité réside plus dans l’instinct que dans l’entendement, dans le subconscient que dans le conscient. Le don pour la politique se laisse éveiller ou cultiver, jamais apprendre. Le génie fait voler en éclats toutes les règles : en termes de talents politiques cependant, la noblesse est plus riche que la bourgeoisie . En effet pour acquérir des connaissances, une seule vie suffit : pour éduquer les instincts, cela nécessite l’action conjointe de beaucoup de générations. Dans les sciences et les beaux-arts, la bourgeoisie surpasse en don la noblesse : en politique la relation est inversée. De là  s’ensuit que même les démocraties d’Europe confient souvent leur politique extérieure à des descendants de leur haute noblesse, car il est dans l’intérêt de l’État de rendre utile à la communauté la masse successorale des dons politiques que la noblesse a accumulée au fil des siècles.

    Les capacités politiques de la haute noblesse découlent principalement de ses forts mélanges de sang. En effet ce mélange national des races agrandit souvent son horizon et paralyse ainsi les conséquences néfastes de la simultanéité castes-consanguinité. La grande majorité des aristocrates de valeur moindre allie les inconvénients du mélange avec ceux de la consanguinité : le manque de caractère avec la pauvreté en esprit ; tandis que dans les rares points culminants de la haute noblesse moderne, les avantages des deux se rencontrent : le caractère avec l’esprit.

    D’un point de vue intellectuel il se creuse à ce jour une violente différence de niveaux entre l’extrême droite (la noblesse de sang conservatrice) et l’extrême gauche (la noblesse d’esprit révolutionnaire), tandis qu’en termes de caractères, ces apparentes extrêmes se touchent. Tout ce qui relève de l’intellect et du conscient réside cependant dans la partie haute — tout ce qui relève du caractéristique et de l’inconscient, dans la partie profonde de la personnalité. Les connaissances et les opinions sont plus faciles à former et réformer que les singularités du caractère et les orientations de la volonté.

    Lénine  et Ludendorff  sont antagonistes dans leurs idéaux politiques : ils sont frères dans leur attitude de volonté . Si Ludendorff avait grandi dans le milieu  révolutionnaire de la jeunesse     estudiantine russe ; il aurait, comme Lénine, vécu dans sa jeunesse l’exécution de son frère par un bourreau impérial : nous le verrions, vraisemblablement, à la tête de la Russie rouge. Tandis que  si Lénine avait été élevé dans une école des cadets prussienne, il serait peut-être devenu un sur-Ludendorff. Ce qui sépare ces deux natures apparentées, c’est leur niveau spirituel. La limitation de Lénine semble être héroïco-consciente, la limitation de Ludendorff naïvo-inconsciente. Lénine n’est pas juste un leader— il est aussi un spirituel; pour ainsi dire, un Ludendorff spiritualisé.
        Le même parallèle peut être dressé entre deux autres représentants  des extrêmes gauche et droite : Friedrich Adler  et Graf Arco. Tous deux ont été meurtriers par idéalisme, martyrs de leur conviction. Si Adler avait grandi dans le milieu militaristo-réactionnaire de la noblesse de sang allemande, et Arco dans le milieu socialisto-révolutionnaire de la noblesse d’esprit autrichienne — alors, vraisemblablement, la balle d’Arco aurait atteint le ministre-président Stürgkh, la balle d’Adler le ministre-président Eisner. En effet eux aussi sont frères, séparés par la différence des préjugés inculqués, alliés par le point commun du caractère héroïco-désintéressé. Ici aussi la différence se situe au niveau spirituel (Adler est
    l’humain d’esprit), et non au niveau de la pureté de la mentalité . Qui loue le caractère de l’un, ne peut
    rabaisser celui de l’autre — comme cela se produit pourtant quotidiennement des deux côtés.
        Où il y a de la force de vie potentialisée ,  il y a de l’avenir. L’apogée  de la paysannerie, le noble terrien, a (tant qu’il s’est maintenu en bonne santé) rassemblé et accumulé une abondance de forces vitales au fil de sa symbiose millénaire avec la nature vivante et donneuse de vie. Si une éducation moderne réussissait à sublimer en spirituel une partie de cette énergie vitale augmentée : alors la noblesse du passé pourrait peut-être prendre une part décisive à la construction de la noblesse du futur.  En allemand les termes Blut(e)   et Blüte  ont une consonance proche, voire une étymologie commune (Bluot , ce qui coule). Si cette étymologie commune est à prendre avec prudence, elle est néanmoins mentionnée dans certains dictionnaires allemands de la fin du XIXe. Les résonances sémantiques découlant de cette proximité, different des résonances sémantiques associées au terme
    sang,  en français.

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  •     8. PLOUTOCRATIE

    De par l’état grave dans lequel se trouvaient les noblesses de sang et d’esprit, il n’était pas étonnant qu’une troisième classe humaine s’approprie provisoirement le pouvoir : la ploutocratie.

    La forme constitutionnelle qui a pris le relais du féodalisme et de l’absolutisme a été démocratique ; sa forme de domination : ploutocratique. Aujourd’hui la démocratie  est une façade de la ploutocratie : comme les peuples ne toléreraient pas la ploutocratie nue, il leur est laissé le pouvoir  nominal, tandis que le pouvoir effectif repose dans les mains des ploutocrates. Dans les démocraties républicaines comme monarchiques, les hommes d’État sont des marionnettes, les capitalistes des tireurs de ficelles : ils dictent  les lignes directrices de la politique, ils dominent les électeurs par le biais de l’achat de l’opinion publique , les ministres par le biais des relations commerciales et sociétales.
        À la structure sociétale féodale s’est substituée la structure sociétale ploutocrate : ce n’est plus la naissance qui détermine la position sociale , mais le revenu. La ploutocratie d’aujourd’hui est plus puissante que l’aristocratie d’hier : car rien ne se situe au-dessus d’elle sinon l’État qui est son outil et son complice.
    Lorsqu’il y avait encore une vraie noblesse de sang, le système de l’aristocratie de naissance était plus juste que ne l’est aujourd’hui celui de l’aristocratie de l’argent : car à l’époque la classe dominante avait un sentiment de responsabilité, une culture, une tradition — tandis que la classe qui domine aujourd’hui est dénuée de tout sentiment de responsabilité, de toute culture et de toute tradition. Les quelques rares exceptions ne changent rien à ce fait.
        Tandis que la vision du monde du féodalisme était héroïco-religieuse, la société ploutocrate actuelle ne connaît pas de plus hautes valeurs que l’argent et la bonne vie : la valeur d’un humain est indexée
    sur ce qu’il a, et non sur ce qu’il est.

    Néanmoins, les leaders de la ploutocratie  forment en un certain sens une aristocratie,  une sélection : car pour l’accumulation d’une plus grande fortune, toute une série de singularités éminentes est nécessaire : la force d’agir, la prudence, l’intelligence, la pondération, la présence d’esprit, l’initiative, la témérité et la générosité. Grâce à ces avantages, les grands entrepreneurs ayant réussi se légitiment en tant que natures conquérantes modernes, à qui leurs forces de volonté et d’esprit supérieures apportent la victoire sur la masse des concurrents de valeur moindre .
        Cette supériorité des ploutocrates n’est cependant valable qu’à l’intérieur d’une classe humaine acquise — elle disparaît aussitôt, lorsque ces éminents gagneurs d’argent sont comparés aux éminents représentants  des professions idéales. Ainsi, s’il est juste qu’un industriel ou un commerçant efficient s’élève matériellement et socialement plus haut qu’un collègue inefficient — il est cependant injuste que sa puissance et sa valeur sociétales soient plus hautes que celles d’un artiste, d’un érudit, d’un politicien, d’un écrivain, d’un professeur, d’un juge, d’un médecin, qui dans sa profession est tout autant capable que lui, et dont les capacités servent cependant des buts plus idéaux  et plus sociaux : injuste donc que le présent système sociétal donne à la mentalité égoïsto-matérialiste la primauté sur une mentalité altruisto-idéale.
        Dans cette préférence de l’efficience égoïste sur l’efficience altruiste,  de l’efficience matérialiste sur l’efficience idéaliste, réside le mal fondamental de la structure sociétale capitaliste ; alors que les vrais aristocrates de l’esprit et du coeur : les sages et les bons, vivent dans la pauvreté et l’impuissance, les égoïstes humains de pouvoir usurpent la position de leader à laquelle ceux-là étaient appelés.
    Ainsi la ploutocratie est, d’un point de vue énergétique et intellectuel, une aristocratie — et d’un point de vue éthique et spirituel, une pseudoaristocratie ; à l’intérieur de la classe humaine acquise, elle est une aristocratie — comparée aux professions idéales, une pseudo-aristocratie.
        À l’instar des aristocraties de sang et d’esprit, celle de l’argent se trouve aussi actuellement en période de déclin.
     Les fils et les petits-enfants de ces grands entrepreneurs, dont la volonté, forgée à travers la misère et le travail, les avait hissés du rien jusqu’à la puissance, demeurent quant à eux généralement assoupis dans la bonne vie et l’inaction. Rarement seulement l’efficience paternelle se transmet, ou se sublime en créations plus spirituelles et plus idéalistes. Les lignées de ploutocrates manquent de cette tradition et de cette vision du monde, de cet esprit rustique et conservateur qui avait autrefois pendant des siècles protégé les lignées de la noblesse contre la dégénérescence. De faibles épigones reprennent l’héritage de pouvoir de leur père, sans le don pour la volonté et l’entendement, grâce auquel il avait été accumulé. Le pouvoir et l’efficience entrent alors en contradiction : et minent ainsi la légitimité
    intérieure du capitalisme.

    Le développement historique a précipité ce déclin naturel. Propulsée par la conjoncture de guerre, une nouvelle ploutocratie de petits trafiquants  a commencé à dissoudre et repousser l’ancienne ploutocratie des entrepreneurs. Tandis qu’avec l’enrichissement des entrepreneurs la prospérité du peuple croît, avec l’enrichissement des petits trafiquants elle sombre. Les entrepreneurs sont les leaders de l’économie —les petits trafiquants en sont les parasites : l’entrepreneuriat est un capitalisme productif — le trafic  un capitalisme improductif     La conjoncture actuelle rend l’acquisition d’argent plus facile aux humains sans scrupules, sans inhibitions, et sans fiabilité. Pour les profits
    liés au trafic ou à la spéculation, la chance et l’absence d’égards sont plus nécessaires que des dons de volonté et d’entendement. La ploutocratie moderne des petits trafiquants représente ainsi davantage une kakistocratie de caractère  qu’une aristocratie de l’efficience. Avec le brouillage croissant     des frontières entre l’entrepreneuriat et le trafic, le capitalisme est compromis et déprécié sur le forum de l’esprit et dans l’espace public.
        Aucune aristocratie ne peut s’affirmer durablement sans autorité  morale. Dès que la classe dominante cesse d’être un symbole des valeurs éthiques et esthétiques, sa chute devient inévitable.
        La ploutocratie est, comparée à d’autres aristocraties, pauvre en valeurs esthétiques. Elle remplit les fonctions politiques d’une aristocratie, sans offrir les valeurs culturelles d’une noblesse. Mais la richesse n’est supportable que dans les habits de la beauté , elle n’est justifiée qu’en tant qu’émissaire d’une culture esthétique. En attendant, la nouvelle ploutocratie s’enveloppe d’une morne absence de goût et d’une importune laideur : sa richesse en devient stérile et repoussante.
        La ploutocratie européenne néglige — au contraire de l’américaine —sa mission éthique aussi bien que sa mission esthétique : les bienfaiteurs sociaux de grand style sont aussi rares que les mécènes. Au lieu d’apercevoir le but de leur Dasein dans le capitalisme social,  dans le rassemblement et la mise en forme de la fortune éparpillée du peuple en oeuvres généreuses de l’humanité  créatrice — les ploutocrates se sentent, dans leur écrasante majorité, légitimés à bâtir, de façon irresponsable, leur bonne vie sur la misère des masses. Au lieu d’être des administrateurs bienveillants  de l’humanité, ils en sont les exploiteurs, au lieu d’être des leaders , ce sont des induiseurs en erreur.
        À travers ce manque de culture esthétique et éthique, la ploutocratie ne s’attire pas seulement la haine, mais aussi le mépris de l’opinion publique et de ses leaders spirituels : parce qu’elle n’a pas su s’y prendre pour devenir noblesse, elle doit tomber.
        La révolution russe signifie, pour l’histoire de la ploutocratie, le début de la fin. Même si Lénine est vaincu, son ombre dominera autant le XXe siècle que la Révolution française a déterminé le développement du XIXe, en dépit de son effondrement : jamais en Europe continentale le féodalisme et l’absolutisme n’auraient volontairement abdiqué — sinon de peur devant une répétition de la terreur jacobine, devant la fin de la noblesse et du roi français. L’épée de Damoclès de la terreur bolchevique
    réussira plus vite à attendrir le cœur des ploutocrates et à rendre les exigences sociales accessibles, qu’en deux millénaires l’évangile du Christ.

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